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La Nouvelle-Zélande

Chapitre Premier Le pays. — Les institutions. — Description physique de la Nouvelle-Zélande. — Quelques paysages célèbres

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Chapitre Premier Le pays. — Les institutions. — Description physique de la Nouvelle-Zélande. — Quelques paysages célèbres.

Une étude économique et sociale sur la Nouvelle-Zélande n’est pas le but que nous nous proposons. Nous avons voulu donner plutôt, ici, de petits croquis de la vie publique et privée dans une de ces possessions anglaises du Pacifique, véritables États, si différents avec leur « self government » de nos colonies françaises. Et que l’on ne voie pas, dans cette expression « si différents », une arrière-pensée de critique. Certes, il serait puéril de prétendre que notre empire colonial est en passe d’égaler celui de nos voisins et, en voyant ce qu’est devenu, dans l’espace de cinquante ans, un pays comme celui-ci, il est impossible de méconnaître la puissance colonisatrice de l’Anglo-Saxon. Mais, s’il est utile d’étudier les méthodes des autres peuples afin de profiter de leur expérience, nous aurions grand tort — de récents exemples l’ont démontré — de nous figurer que nous sommes incapables d’en faire autant; et d’ailleurs, si nous étions jadis fort en retard, nous avons, depuis quinze ou vingt ans, il est juste de le reconnaître, doublé les étapes.

Cela dit pour nos compatriotes, je prierai nos amis de Nou-page 2velle-Zélande qui nous ont si bien accueilli et n’ignorent pas notre admiration sincère pour leur pays, de ne pas se froisser de certaines réflexions qu’ils trouveront dans ce volume. Beaucoup de choses sont à louer chez eux, mais enfin la perfection n’est point de ce monde, pas plus aux antipodes que sur le vieux continent, et les Néo-Zélandais sont trop intelligents pour en vouloir à l’auteur s’il n’a pas caché, à côté des grands éloges qu’ils méritent, ce qui, chez eux, lui semblait critiquable. Certains défauts, certains ridicules même, inhérents aux civilisations trop jeunes, et que nous signalerons çà et là, ne diminuent en rien notre estime pour leurs réelles et très sérieuses qualités.

Il n’entre pas, non plus, dans notre plan de nous appesantir longuement sur la géographie du pays, de décrire en détail toutes les beautés naturelles: lacs, montagnes, glaciers, volcans, etc., qu’il renferme ou de faire l’historique complet de la colonisation; nous nous proposons, toutefois, de les tracer dans leurs grandes lignes aux chapitres suivants, et nous serions heureux, maintenant que le goût des voyages se développe chaque année, si la lecture de ce petit livre pouvait décider nos « globe-trotters » en plus grand nombre à allonger leurs itinéraires jusqu’ici. Ils ne s’en repentiront point. Qu’ils s’adressent aux trop rares Français venus en Nouvelle-Zélande; pas un seul, j’en suis certain, ne leur déconseillera le voyage. Je recommanderais, d’ailleurs, à ceux de nos compatriotes qui, ne désirant pas lire d’ouvrages techniques, voudraient se faire néanmoins une idée d’ensemble assez précise sur le pays, de parcourir I’excellent « Year book » (annuaire officiel) publié tous les ans par les soins du gouvernement Néo-Zélandais; ils y trouveront très suffisamment exposés les renseignements dont ils auraient besoin. On peut consulter aussi avec fruit les articles publiés dans la Revue d’Économie politique, par M. André Siegfried. Ce jeune Français a visité la colonie, en 1898, et en décrit fort exactement l’organisation politique et sociale. Le professeur Albert Métin, de son côté, a publié page 3des articles pleins d’intérêt sur la législation ouvrière néozélandaise. Enfin j’indique comme particulièrement instructifs en même temps qu’agréables à lire les chapitres que, dans son ouvrage très documenté l’Évolution sociale en Australasie M. Louis Vigoureux, député, consacre à la Nouvelle-Zélande.

Portrait of a kauri gumdigger.

Type néo-zélandais: un chercheur de gomme de kauri.

Tout le monde, plus ou moins, par le seul mot d’antipodes, se rend compte de la position sur le globe terrestre de cette colonie anglaise du Pacifique. Mais tâchons de détruire, en passant, deux idées très fausses dont la diffusion persistante en Europe est un perpétuel sujet d’étonnement pour les habitants de l’hémi sphère sud. La Nouvelle-Zélande n’est pas une petite île de l’Australie. C’est bien une île, deux îles même, mais non petites, puisque leur superficie égale, si elle ne la dépasse pas, celle de l’Angleterre et de l’Écosse réunies. Elle n’est point en Australie, il s’en faut; car 500 lieues au moins la séparent de ce grand continent. Ajoutons qu’elle est peuplée de huit cent mille Européens et de quarante mille indigènes, qu’elle s’administre elle-même, commela plupart des colonies australiennes, et le lecteur en saura assez pour nous suivre dans cet exposé de la vie néo-zélandaise. N’oublions pas que le pays a été évangélisé par nos missionnaires et l’île du Milieu colonisée en partie par des Français; qu’à l’époque où la souveraineté britannique n’était pas encore proclamée, il n’a tenu qu’à nous de prendre tout ce qui s’étend au sud du détroit de Cook. Nous nous sommes laissé distancer par nos voisins: ce n’était pas page 4la première fois….. Etait-ce la dernière? Je laisse aux historiens le soin d’en décider. Mais, partout où la France a passé, elle laisse, à défaut de conquêtes matérielles, un souvenir d’ordre sentimental. Ici, c’est la tradition, acceptée d’ailleurs par les Anglais, d’après laquelle tous les saules pleureurs, si nombreux dans le pays, proviennent d’une bouture apportée de Sainte Hélène. Parmi les émigrants français venus, vers 1835, en Nou velle-Zélande, bien avant la prise de possession par la GrandeBretagne, pour coloniser la péninsule d’Akaroa dans laquelle sont encore établis leurs descendants, se trouvait un ancien soldat de l’Empire. A la relâche de Sainte-Hélène, il fit, comme de juste, le pèlerinage de Longwood et prit un rameau au saule du tombeau de I’empereur. Ce vieux brave emportait, comme les anciens emportaient de la terre de leur pays natal, une branche poussée sur la tombe de l’homme en qui, pour lui et ses compagnons de gloire, s’incarna si longtemps la patrie. Et le pauvre petit rameau soigné, arrosé durant cette longue traversée, devint, à l’autre bout du monde, la souche de tous ceux dont est couverte une terre qui serait française aujourd’hui si nous l’avions voulu. N’est-il pas le symbole expressif de l’espoir dont le vieux soldat était animé? En colonisant cette île lointaine, il croyait bien la réserver à son pays.

On n’exagérera pas si l’on dit qu’avec le système prévalant dans les colonies anglaises à « self government », celles-ci forment de vrais États. Tout se traite sur place, sauf la poltique extérieure, que le gouverneur négocie avec le « Foreign Office » par l’entremise du Ministère des Colonies. N’était la présence de ce haut fonctionnaire, représentant le roi et témoignage vivant de l’union à la mère-patrie, on ne se croirait pas dans une colonie, mais plutôt dans un pays indépendant. De fait, il en est ainsi, et la couronne britannique s’ingère si peu dans les affaires de ses possessions autonomes qu’elle ne paie même pas le traitement de son représentant. Il est logé, meublé aux frais de ses administrés, et son salaire figure au budget de l’État qu’il gouverne. Son Excellence est un souverain constitu-page 5
Photograph taken on the Hamurana River, near Rotorua.

La rivière d’Hamurana. Environs de Rotorua. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

tionnel
en miniature. Il nomme à tous les emplois sous le contre-seing de secrétaires d’État responsables et dit: « Mon président du Conseil, mes ministres. » Tous les ans, par délégation spéciale du souverain, il ouvre en grande pompe le parlement et prononce un discours du trône, auquel les sénateurs et députés répondent par une adresse, comme en Angleterre. Même à notre époque de progrès incessant, il est assez difficile de rajeunir la forme des harangues officielles, et, tout en appréciant le réel intérêt qu’offre pour l’histoire de la colonisation anglaise dans le Pacifique la collection de ces discours, depuis l’inauguration du « self government », au milieu du siècle dernier jusqu’à nos jours, je n’ai pu m’empécher de sourire souvent, comme à une vieille connaissance, à la phrase page 6de début chère à Louis-Philippe: « C’est toujours avec un nouveau plaisir.… » Allez donc aux antipodes, au vingtième siècle, pour y retrouver la formule invariable que le Charivari de 1832 reprochait tant au roi citoyen!

Sans vouloir aborder en détail la description physique de la Nouvelle-Zélande, il n’est pas possible d’écrire un ouvrage sur cette colonie sans consacrer un court chapitre tout au moins aux merveilles naturelles qu’elle renferme.

Ce qui frappe tout d’abord le touriste, en Nouvelle-Zélande, c’est une extrême variété. Dans ce pays, le plus au sud parmi les contrées habitées de l’hémisphère austral, on rencontre tous les climats comme aussi la végétation et l’aspect physique des différentes parties de l’Europe. Située entre les 166e et 178e degrés de longitude, du cap Providence dans l’île du Milieu au cap Est dans l’île du Nord, la colonie s’étend en latitude entre les 34e et 47e degrés; ce qui, dans l’hémisphère septentrional, correspondrait à l’espace compris entre le centre de la France et le nord de l’Afrique, en passant par-dessus l’Italie et la Sicile. Cette longueur considérable explique la variété de températures dont nous parlions tout à l’heure. Si l’on prend la carte du pays, on verra que son aspect d’ensemble est assez bien rendu par la qualification qu’on lui donne souvent de péninsule italienne renversée.

La superficie de la Nouvelle-Zélande est de 268000 kilomètres carrés, soit environ les six septièmes des îles Britanniques, l’Angleterre, le pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande réunis contenant à peu près 315000 kilomètres carrés. Dans ce chiffre de 268000, nous ne comprenons que ce qui constitue la Nouvelle-Zélande proprement dite, c’est-à-dire les deux grandes îles du Nord et du Milieu et les petites îles adjacentes. Nous laissons volontairement de côté tous les territoires qui, depuis 1900, ont été annexés à la colonie, le groupe de Cook et les autres îles (Nuie, Palmerston, Penrhyn, etc.). La superficie de ces îles tropicales, situées entre les 10e et 22e degrés de latitude, n’est pas inférieure à 280000 milles carrés, c’est du moins le chiffre page 7
Map of New Zealand, with French text.

Carte de la Nouvelle-Zélande.

donné par l’annuaire officiel. La Nouvelle-Zélande ainsi étendue serait, par conséquent, trois fois grande comme la mère-patrie. Mais les territoires dont il s’agit, malgré la fiction législative qui les a proclamés partie intégrante de la colonie, étant séparés de celle-ci par des milliers de lieues et leur nature en différant essentiellement, nous nous contenterons de décrire ici ce que l’on pourrait appeler, n’était le détroit de Cook qui la divise en deux, la Nouvelle-Zélande continentale.

Le pays est certainement d’origine volcanique, mais les deux page 8îles offrent des aspects très variés. Celle du Nord, il y a cinquante ans, était presque entièrement couverte d’épaisses forêts; malgré le déboisement, conséquence des progrès de l’agriculture et de l’exploitation des essences forestières, elle garde encore dans bien des parties son cachet primitif. Un réseau de rivières, qui formaient jadis les seuls modes de communication dans l’intérieur, la sillonne en tous sens. De ces nombreux cours d’eau, le plus célèbre est la rivière de Wanganui, que l’on a baptisée du nom un peu ambitieux de Rhin Néo-Zélandais, mais dont les pittoresques circuits, entre deux rives couvertes d’une végétation luxuriante, ne cessent de captiver l’admiration des voyageurs.

Les célèbres montagnes du Ruapehu et du Tongariro (cette dernière, volcan en activité), couvertes de neiges éternelles, dominent de tous côtés la partie septentrionale de l’île du Nord, et, dans leur voisinage, la région des lacs chauds constitue l’une des contrées les plus curieuses à visiter. Dans le district d’Auckland, à quelques heures de chemin de fer de cette ville, s’étend une énorme nappe souterraine de feu et de soufre. Presque partout l’on y trouve des sources d’eau chaude, de la boue bouillante, des cratères, des solfatares et des geysers dont certains, affirme-t-on, ne le cèdent en rien à ceux de l’Islande. Le centre de cette région ignée est à Rotorua, jadis simple village indigène, aujourd’hui station thermale très fréquentée Le gouvernement néo-zélandais a eu l’heureuse idée de ne pas laisser inutilisées les admirables ressources médicinales de la contrée; il y a fait construire un sanatorium où les malades viennent, de tous les points de l’Australasie, chercher un adoucissement à leurs souffrances. Autour de l’établissement s’est fondée une ville qui prospère. On soigne, surtout à Rotorua, les rhumatismes goutteux et les maladies de peau. Les quatre bains principaux sont le bain du Prêtre, le Rachel, le bain Bleu et le Maître de poste. Le « Priest bath », ainsi nommé en souvenir d’un missionnaire catholique qui le découvrit, il y a trente ans, est réputé souverain dans les cas de goutte, de rhumatisme page 9
Black and white photograph of the Wanganui River.

Cours supérieur de la Rivière de Wanganui, appelée le rhin Néo-Zélandais. Photographie de J. Martin, a Auckland.

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Geysers and thermal activity at Whakarewarewa

Les geysers de Wakarewareva a deux kilomètres de Rotorua. Photographie J. Martin, a Auckland.

invétéré, de sciatique et les maladies de peau parasitaires. Sa température varie de 39 à 40 degrés centigrades. Aussi faut-il une certaine accoutumance pour y entrer et surtout pour y rester. J’ai vu, cependant, des baigneurs habitués au traitement y demeurer, dix-huit à vingt minutes; inutile de dire qu’ils en sortaient de la couleur d’un homard bien cuit. On affirme que les facultés stimulantes de cette source produisent, chez les gens fatigués, d’inespérés retours de jeunesse; singulière propriété pour un bain de prêtre. Le bain Rachel (alcalino-siliceux) a des effets particulièrement adoucissants sur les peaux irritées; sa température moins élevée le rend très agréable à prendre. Quant au bain Bleu, dont la composition est la même, mais à un degré moindre, c’est de beaucoup le plus fréquenté par les baigneurs (et ils sont nombreux) qui viennent à Rotorua autant par plaisir que pour raisons de santé. Il est à peu près à la tem-page 12pérature du corps humain. Le gouvernement y a fait creuser une vaste piscine où l’on peut se livrer au plaisir de la natation.

Peu de personnes supportent le « Post master ». Sa composition chimique est à peu près celle du « Priest bath, » mais beaucoup plus forte; et sa température élevée (46 centigrades) n’en permet l’usage qu’avec prudence. Il a donné toutefois des résultats excellents dans des cas de rhumatisme articulaire aigu. Des malades incapables de remuer bras ou jambes ont pu se servir de leurs membres après une saison de bains quotidiens, et certains qui ont eu la persévérance d’y revenir deux ou trois années de suite, sont maintenant parfaitement ingambes.

Une particularité à noter dans la région, c’est que l’air est tellement saturé d’émanations sulfureuses, qu’en chemin de fer, une heure avant d’arriver à Rotorua, vous avez la sensation de respirer un bain de Barèges, et que, dans la localité, à part l’or, tous les métaux, même l’argent, dans les porte-monnaie, deviennent de suite absolument noirs.

Dans les environs immédiats, les solfatares et geysers de Wakarewareva, les réservoirs de boue bouillante de Tikitere et les sources chaudes d’Ohinemutu forment un spectacle fort curieux.

Les touristes venus à Rotorua passent généralement au retour par Te Aroha, une autre station balnéaire du gouvernement, fort jolie petite ville, dont les eaux, sulfureuses aussi mais plus douces, conviennent mieux aux personnes délicates. Là commence la région des mines d’or. Si l’on regarde la carte de Nouvelle-Zélande, on voit à droite du golfe d’Hauraki, au fond duquel s’élève la ville d’Auckland, une péninsule qu’ont nommée Coromandel des colons venus de l’Inde. Cette presqu’île et les comtés voisins de Thames et d’Ohinemuri comprennent un grand nombre de montagnes de quartz riche en or, et les mines y sont nombreuses. C’est une contrée fort pittoresque, parsemée de hautes collines et coupée de torrents que l’on utilise comme force motrice dans les usines où se traite le précieux minerai.

Au nord d’Auckland, s’étend jusqu’au cap Maria van Diemen page 13
Hospital grounds and band rotunda, Rotorua, c.1904.

Le sanatorium de Rotorua: parc et kiosque de la musique. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

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Rotorua geysers.

l’ « enfer » a tikitere, réservoirs de boue bouillante. Photographie de J. Martin, a Auckland.

une longue bande de territoire comprenant les comtés de Waitemata, d’Hokianga et de la baie des Iles. C’est sur un point de ce district qu’atterrirent en 1814 les premiers missionnaires, et que fut d’abord le siège du gouvernement, transporté depuis à Auckland et plus tard à Wellington. Il y a également des mines d’or dans cette région, dont les magnifiques forêts fournissent des quantités considérables de bois de construction. Si, d’Auckland, l’on descend vers le sud par la côte ouest, on traverse la riche contrée de pâture appelée Taranaki, province qui à elle seule produit un tiers des beurres et fromages exportés chaque année de la colonie. Du chef-lieu New-Plymouth, on gagne, par chemin de fer, Wellington, la capitale de la Nouvelle-Zélande, en traversant la jolie petite ville de Wanganui, page 16à l’embouchure de la rivière de ce nom, puis Palmerston et Otaki; c’est la route de l’Ouest, la plus directe. Partant de la grande cité du Nord pour Wellington par la côte est, les vapeurs contournent, après la baie de l’Abondance, le cap Est, et passant par la baie de la Pauvreté, ils atteignent Napier.

Le touriste qui ne se soucie pas de continuer son voyage par mer, fera bien de s’arrêter dans cette ville, la principale de Hawkes Bay, province la plus importante de l’île du Nord, comme agriculture et élevage. Elle jouit d’un climat délicieux. Le train le mènera de là, en une journée, à Wellington en lui faisant traverser les riches plaines agricoles du Wairarapa.

Le meilleur moyen d’expliquer la diversité d’aspects que présente aussi l’île du Milieu de la Nouvelle-Zélande, est d’y faire faire rapidement au lecteur un des classiques tours que les agences ont organisés pour les voyageurs. Partant de Wellington, on franchit en trois heures le détroit de Cook, et l’on se trouve dans la petite ville de Picton, dans le centre de la province de Marlborough, dont la capitale est Blenheim. Les Anglais, on le voit, n’oublient pas de perpétuer la mémoire de leurs grands hommes. De là, descendant vers l’ouest, nous tomberons sur une autre gloire britannique: Nelson est une jolie petite ville dont le climat enchanteur attire un grand nombre de vieux retraités, fonctionnaires et officiers, des Indes surtout. Puis l’on traverse la baie de Tasman, où la passe Française et l’île d’Urville rappellent nos navigateurs, on contourne le cap Farewell, et l’on descend jusqu’à Greymouth, le centre des mines d’or de l’île méridionale. Sur cette même côte, se trouvent les célèbres gisements de charbon de Westport, qui alimentent en combustible la colonie et les îles de la Polynésie. De là, on peut franchir dans toute sa largeur l’île du Milieu et se rendre en voiture, par la merveilleuse gorge d’Otira, à Christchurch, en traversant les Alpes du Sud. Nous aurons pris la route des écoliers, puisque l’on va directement, en quatorze heures, par steamer, de Wellington dans la capitale du Canterbury, ce charmant petit coin d’Angleterre, dont nous ferons plus tard la page 17
Photograph of Milford Sound, c.1904.

Le Milford Sound, le plus célèbre des fjords Néo-Zélandais. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

page 18 page 19description. Les plaines immenses qui s’étendent entre les Alpes du Sud, les monts Cheviot et la mer sont d’une merveilleuse fertilité. C’est une Beauce, mais avec, de ci, de là, des bouquets d’arbres et, même, des restes de forêts. Le Canterbury est le premier district de la colonie pour l’élevage et la culture du blé. Il faut ensuite descendre vers l’Otago. Pour décrire exactement cette province, il suffira de dire que l’on se croit transporté en Écosse. N’étaient les vieux châteaux qui manquent, et pour cause, on y placerait fort bien les scènes de Waverley ou d’Old Mortality. Continuant dans la même direction, on se trouve dans la contrée des lacs ou terre du Sud. Plusieurs de ces nappes d’eau valent, comme charme d’impression, le Loch Katerine ou le Loch Lhomond. Si, du Southland enfin, on gagne la côte ouest, on arrive à la région des Sounds, que l’on appelle fort justement la merveille du Sud.

Sur cette côte, entre les 46e et 44e degrés de latitude, il existe une série d’étroites baies par lesquelles la mer pénètre jusqu’à des profondeurs considérables dans l’intérieur des terres. Les principaux de ces fjords, comparables à ceux de la Norvège, sont: Dusky Sound, Doubtful Sound, et le plus célèbre de tous, Milford Sound. Qu’on se figure d’étroits chenaux en eau profonde, entre des murailles de trois à quatre mille pieds de hauteur, sorte de canaux creusés, suivant l’expression d’un voyageur, par des Titans dans le flanc des montagnes. Le fameux pic de la Mitre, ainsi nommé à cause de sa ressemblance avec un bonnet d’évêque, s’élève près du fjord de Milford. Il a plus de 2000 mètres d’altitude, et, lorsque le soleil couchant vient teinter de rose ses deux sommets jumeaux, le spectacle, au dire de touristes enthousiastes, dépasse en beauté celui du mont Rose, du Matterhorn ou du mont Blanc. Deux alpinistes célèbres en ont fait l’ascension, il y a vingt ans, au prix de mille difficultés. Jusqu’à 1500 mètres environ, zone où cesse la végétation, on y rencontre toutes les variétés de la flore alpine. La vue, du sommet, est, paraît-il, incomparable. Les pointes de toutes les montagnes célèbres de Nouvelle-Zélande, jusqu’au mont Cook, page 20le plus élevé (4500 mètres), se découvrent à la fois. Au-dessous s’étendent des glaciers sur une surface de 160 kilomètres. Le panorama, dit la relation des intrépides excursionnistes, est si grandiose qu’il peut rivaliser avec celui de l’Oberland bernois, si même il ne le dépasse pas. Il n’est d’ailleurs pas besoin, pour jouir d’un spectacle merveilleux, de monter à pareille hauteur: même du pont d’un bateau qui vogue sur les eaux limpides du sound de Milford, l’œil charmé se repose tour à tour sur des torrents, des rocs escarpés, des forêts de pins, des cascades, des pics couverts de neige et d’admirables glaciers. C’est un des plus beaux spectacles qu’il soit donné de contempler et qui vaudrait à lui tout seul un voyage en Nouvelle-Zélande.

Mais, à moins de tomber dans une nomenclature fastidieuse qui ferait ressembler ce chapitre à un extrait de quelque guide, il faut mettre une limite à l’énumération des beautés naturelles de la colonie. Nous en avons dit assez, croyons-nous, pour indiquer aux amateurs de voyages tout ce qu’un déplacement et villégiature aux antipodes leur réserverait de surprises agréables. Ayant vu déjà nombre de pays sous les latitudes les plus variées, nous avons peut-être quelque qualité pour exprimer une opinion, et nous n’hésitons pas à le dire, au point de vue du paysage, il n’est, sans doute, sur aucun point du globe, un pays comparable à la Nouvelle-Zélande. Dans lequel, en effet, trouveraiton réunis tous les spectacles de la nature, depuis la végétation et la mer bleue des tropiques, au nord, jusqu’aux neiges éternelles et aux fjords de Norvège, au sud, en passant par les paysages des régions tempérées?

Il nous reste, en terminant ce chapitre, à dire un mot de la faune néo-zélandaise. Le pays, on le sait, avant la venue des Européens, ne renfermait aucun mammifère autre que l’homme, à l’exception d’un petit rat noir et de quelques chiens. Encore ces deux espèces n’étaient-elles pas indigènes, elles avaient été apportées par les Maoris dans leurs canots à l’époque de la migration. La colonie contenait, en revanche, des oiseaux en assez grand nombre. Les naturalistes en ont compté jusqu’à page 21
Milford Sound, c.1904.

Le pic de la mitre dans le Milford Sound, ainsi nommé a cause de sa ressemblance avec un bonnet d’évèque. Photographie de J. Martin, a Auckland.

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Skeleton of a moa, Auckland Museum, c.1904.

Description PhysiqueSquelette de moa, l’oiseau géant de Nouvelle-Zélande, au musée d’Auckland. Photographie de J. Martin, a Auckland.

quatre-vingt-trois espèces différentes, parmi lesquelles la plus curieuse est le kiwi ou oiseau sans ailes. Il y existe plusieurs sortes de pigeons, de tourterelles et de perroquets. Une variété de ces grimpeurs offre cette particularité de faire ses délices des rognons de mouton. Lorsque dans un troupeau l’un des page 24brigands ailés a fait son choix, il fond sur sa victime, de son bec crochu lui fouille les reins, met à nu les rognons et dévore la graisse qui les entoure. Inutile d’ajouter que l’infortuné rumi-
Kiwi.

Le kiwi, oiseau sans ailes. — d’après une photographie.

nant
ne survit pas à l’opération. Chaque année, de nombreux moutons périssent de cette manière, malgré la chasse impitoyable faite aux perroquets vampires. La Nouvelle-Zélande renfermait jadis une race d’oiseaux géants, les moas, assez semblables à l’épiornis de Madagascar, et dont les derniers spécimens paraissent avoir disparu, il y a deux siècles. On en trouve encore de nombreux squelettes. Leur reconstitution permet d’affirmer que cet énorme bipède, rappelant l’autruche comme conformation, atteignait la taille d’une girafe et presque la grosseur d’un chameau.

Il y avait également dans le pays, avant la venue des blancs, quelques lézards et des araignées, mais les serpents, vipères et, en général, tous les ophidiens y ont toujours été inconnus. Les animaux domestiques y ont été importés d’Europe. Ils ont fort page 25bien réussi. Nous en reparlerons au chapitre de l’agriculture. En résumé, on peut jouir en Nouvelle-Zélande des climats les plus variés, rencontrer tous les genres de culture et les différentes attractions qu’en Europe on va chercher un peu partout. L’ingénieur trouvera dans l’exploitation des gisements aurifères et de charbon, comme le savant dans la flore et la faune spéciales au pays, matière à d’intéressantes études, tandis que l’agronome y verra pratiquées avec succès les méthodes les plus nouvelles. Le négociant pourra admirer le développement du commerce, en faire, au besoin bénéficier notre pays; le sociologue, enfin, appréciera, dans la législation ouvrière dé la colonie, la mise en vigueur des conceptions les plus hardies de l’esprit moderne. Nous répéterons donc ce que nous disions, au début, aux globe-trotters: « Venez-voir la Nouvelle-Zélande, que si peu de Français connaissent, et vous en rapporterez une impression ineffaçable. »