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La Nouvelle-Zélande

Chapitre X Communications entre la Nouvelle-Zélande et l’Europe. — Chemins de fer de la colonie. — Postes et télégraphes. — Mécanisme de la vie. — Un peu de politique. — Sentiments des Néo-Zélandais pour la mère patrie. — Le vote des femmes. — Leur accessibilité aux fonctions municipales

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Chapitre X Communications entre la Nouvelle-Zélande et l’Europe. — Chemins de fer de la colonie. — Postes et télégraphes. — Mécanisme de la vie. — Un peu de politique. — Sentiments des Néo-Zélandais pour la mère patrie. — Le vote des femmes. — Leur accessibilité aux fonctions municipales.

Tout ce que nous avons dit de la Nouvelle-Zélande, et surtout de ses merveilleux paysages, a peut-être inspiré à plus d’un de nos lecteurs le désir de visiter cette intéressante colonie. Mais c’est bien loin, se dira-t-on, le voyage est long et pénible, il doit être excessivement coûteux. Erreur: les communications, de nos jours, entre les points les plus éloignés du globe, sont devenues si fréquentes qu’il est moins dispendieux et certainement beaucoup moins fatigant d’aller d’Europe en Nouvelle-Zélande, qu’il ne l’était de faire le voyage de Paris à Rome, il y a cent ans.

Les moyens de se rendre aux antipodes sont nombreux; nous allons indiquer brièvement, pour I’information de ceux qui nous font l’honneur de nous lire, les itinéraires les plus usités, avec les prix de revient approximatifs.

1° La voie de Suez, la plus fréquentée jadis, aujourd’hui encore fort suivie, malgré la concurrence de la ligne rapide américaine, qui met Auckland à vingt-sept jours de Londres.

Quatre lignes desservent cette voie.

A. — Les Messageries maritimes (ligne de Marseille à Nouméa) tous les vingt-huit jours. Faisant escale à Port-Saïd, Suez, Colombo, Freemantle et Melbourne, leurs paquebots arrivent à Sydney en trente-trois ou trente-quatre jours. Ce n’est pas seulement, parce que cette ligne est française, que nous l’indiquons la première, mais aussi parce qu’elle est la plus rapide page 160et la plus confortable, surtout au point de vue de la nourriture. Le prix du passage est de 1 625 francs, en première classe, et d’environ 1200 francs en seconde, pour tous les ports australiens.

B. — La Compagnie Péninsulaire et Orientale (anglaise) partant de Londres et touchant à Marseille, tous les quatorze jours. — Même itinéraire que les Messageries.

C. — La Compagnie Orient (anglaise aussi), tous les quatorze jours, suivant la même route que la P. and 0., mais touchant à Naples au lieu de Marseille.

D. — La Norddeutscher Lloyd, une fois par mois, partant de Brème et touchant, en Méditerranée, à Gênes; mêmes escales à partir de Port-Saïd.

Une entente est intervenue entre ces quatre compagnies, pour un tarif uniforme et la validité des billets, sur les bateaux des unes et des autres, circonstance très avantageuse pour ceux des voyageurs qui veulent couper leur voyage par des arrêts aux différentes escales, par exemple en Egypte et à Ceylan.

Le voyageur qui se rend en Nouvelle-Zélande, a le choix, en Australie, entre trois lignes hebdomadaires; chaque lundi, de Melbourne au Bluff par la Tasmanie (huit jours de traversée); chaque mercredi, de Sydney à Auckland, et, tous les samedis, du même port à Wellington (ces deux derniers trajets de quatre jours seulement l’un et l’autre).

2° La voie d’Amérique, Oceanic Steamship C°. — On part du Havre, pour New York, par les transatlantiques français, ou, d’Angleterre, par une des nombreuses lignes qui sillonnent l’Atlantique; on traverse les Etats-Unis, en chemin de fer, de New York à San Francisco, et l’on s’embarque en ce port pour Auckland, en passant par Honolulu et Pago Pago, dans les îles Samoa. C’est la ligne la plus rapide. Durée totale du voyage, vingt-huit jours de Paris, prix: 1 800 francs (non compris la nourriture durant la traversée des États-Unis, en chemin de fer, environ 150 francs) et autant de supplément pour un sleeping car, si l’on ne veut pas du dortoir commun; au minimum, 2100 francs.

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Black and white photograph of Maori men performing a haka, c.1904.

Le « haka », danse de guerre des Maoris. — Dessin d’Oulevay.

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[Note added by NZETC as annotator:]

A black and white photograph of a museum tableux, containing taiaha, mere, and other traditional Maori weapons, portraits, and two mokomokai, or tattooed preserved heads.

This image is not available for public viewing as it depicts either mokomokai (preserved heads) or human remains. The reasons for non-display are detailed in the policy regarding display of images of mokamokai. If you would like to comment on this decision you can contact NZETC.

Voie du Canada. On se rend par le Canada à Vancouver, tête de ligne du service sur Brisbane (Queensland). On touche à Honolulu et aux Fidji où l’on prend l’annexe pour Auckland. Durée du voyage: trente-cinq jours. Prix à peu près les mèmes que par l’Oceanic.

Voie du Cap de Bonne-Espérance. Voie recommandée aux amateurs de longues traversées. Durée du voyage: 45 jours. On ne voit la terre que deux fois, à Ténériffe et au Cap. La meilleur marché. Une seule classe, intermédiaire entre les premières et les secondes des autres lignes. Prix: 1100 à 1150 francs. Le service est fait par trois lignes d’énormes cargoboats, de 7 à 12000 tonnes, qui transportent les viandes congelées de Nouvelle-Zélande en Europe; ils ont une installation assez confortable pour les passagers. Ce sont: La Tyser Line, la Shaw-Savill and Albion Company, et la New Zealand Shipping Company. Elles passent toutes trois, à l’aller, par le cap page 164de Bonne-Espérance et reviennent en Europe, par le cap Horn. A cause du prix modéré des passages, les places dont le nombre est assez limité sont presque toujours occupées.

Si j’avais un conseil à donner, voici comment, à mon sens, pourrait s’effectuer, d’une manière pratique, un voyage en Nouvelle-Zélande. Prendre au départ de France un billet circulaire, dit du tour du monde: 3500 francs environ, valable sur les vapeurs des principales compagnies de navigation, s’embarquer à Marseille, visiter l’Egypte et Colombo. On s’arrêterait ensuite dans les principales villes d’Australie, et, de Melbourne, on irait au Bluff, l’extrémité méridionale de la Nouvelle-Zélande, en faisant escale en Tasmanie. Du Bluff, on remonterait à Auckland, traversant ainsi la colonie dans sa longueur (à peu près la distance de Dunkerque à Malte par parenthèse) et visitant, successivement, tous les points intéressants de l’île du Sud et de l’île du Nord, il faudrait compter cinq semaines pour voir la Nouvelle-Zélande; on le ferait, à la rigueur, en trois, mais on serait un peu bousculé. A Auckland, l’Oceanic Steamship conduirait le voyageur, en seize jours, à San Francisco. Une fois là, tout le monde connaît la route ou plutôt les routes pour l’Europe, car de nombreux itinéraires se présentent au touriste qui veut traverser l’Amérique. On aurait fait, comme cela, le tour du monde. Au voyageur, dont le temps ne serait point mesuré, nous conseillerions de profiter de l’occasion pour voir les archipels intertropicaux: Fidji, Tonga, Samoa surtout, et Tahiti, les deux merveilles de l’océan Pacifique. Ces crochets ne le détourneraient pas sensiblement de la route du retour, car il aurait le choix de prendre, sur la plupart de ces points, une ligne directe par les Etats-Unis ou le Canada. A Fidji, il s’embarquerait pour Vancouver; il trouverait à Samoa la grande ligne de San Francisco, enfin, de Tahiti, depuis le nouveau service, un bâtiment de cette même compagnie américaine le conduirait au grand port californien. En suivant l’itinéraire dont nous avons tracé les grandes lignes et qu’il pourrait, d’ailleurs, facilement modifier, à son page 165
Black and white photograph of a horse-drawn coach descending the Otira road, South Island, New Zealand, c.1904.

Un coach, route d’otira, dans l’ile du sud. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

gré, sur presque tous les points, le touriste, venu en Nouvelle-Zélande, n’aurait pas seulement visité un des pays les plus curieux du monde et qui, a lui seul, vaut le voyage aux antipodes, il ferait, en même temps, dans les conditions les plus agréables et pour un prix raisonnable, le tour du globe. Il va sans dire qu’il trouverait dans la colonie la plus lointaine de l’Empire britannique les mêmes facilités de locomotion qu’en Australie ou même qu’en Amérique et des hôtels très bons quelquefois, convenables partout.

La Nouvelle-Zélande est un pays neuf, trop neuf même, pour ceux qui ont le culte du passé, mais, au moins, en ce qui con-page 166cerne le progrès moderne, on est, ici, tout à fait à la hauteur. Sous le rapport des chemins de fer, postes, télégraphes, et surtout téléphones, la colonie est aussi avancée que bien des pays d’Europe.

En 1899, il y avait 2257 milles (3600 kilomètres environ) de voies ferrées ouvertes au trafic, dont 167 seulement appartenaient à des compagnies privées, tout le reste étant propriété de l’Etat. Celui-ci a transporté, en 1900, 5 millions de voyageurs, 2 millions de tonnes de marchandises et 2 millions et demi de têtes de bétail, produisant, cette année-là, 37 millions de francs de recettes. Les dépenses d’exploitation ayant été de 23 millions et demi, les chemins de fer, par conséquent, ont rapporté au Gouvernement un bénéfice net de 13 millions 500000 francs. La moyenne de toutes les lignes représente un revenu de 3 et 4 pour 100 environ, certaines, exceptionnellement bonnes, ayant donné jusqu’à 13 pour 100 du capital engagé. L’exploitation par l’État semble done avantageuse. Le trafic augmentera, d’ailleurs, considérablement, quand, dans trois ou quatre ans, le réseau Wellington - Auckland sera entièrement terminé. Le voyage, tel qu’il se fait, est extrêmement long et fatigant. On part de Wellington, à sept heures du matin, et l’on arrive à New Plymouth, à dix heures du soir. Là, on prend le bateau pour Onehunga, douze heures de traversée, et enfin, d’Onehunga à Auckland, on fait encore une heure de chemin de fer. Tous ces changements sont si ennuyeux, les heures tellement incommodes, que beaucoup de gens préfèrent effectuer tout le trajet par mer.

Les wagons de chemin de fer sont relativement confortables, et l’on peut circuler d’un bout à l’autre du train; il n’y a que deux classes dont la première, comme installation, est certainement inférieure aux secondes des lignes européennes. Les buffets, par exemple, sont un peu primitifs et les trains fort lents. Les express font 30 kilomètres à l’heure, et ce qu’on appelle le rapide, entre Christchurch et Durredin, où la voie traverse tout le temps des plaines, atteint la vitesse vertigi-page 167
Black and white photograph of a bullock train, New Zealand, c.1904.

Un attelage dans la forêt. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

neuse
de 36 kilomètres. On finit par s’habituer à ce petit traintrain. Il est juste de reconnaître qu’en beaucoup d’endroits les courbes très prononcées interdisent la vitesse, car les lignes sont toutes à voie étroite. Tels quels, les chemins de fer néozélandais ont puissamment contribué au développement de l’activité commerciale et industrielle dans l’intérieur.

Dans les pays neufs, où les distances sont si considérables et les routes difficiles à maintenir dans un état carrossable, le railway constitue, sans contredit, l’un des plus puissants instruments de colonisation. Après avoir beaucoup trop longtemps tâtonné, on commence, heureusement, à en construire un peu partout dans les possessions françaises.

Il y avait, l’an dernier, dans la colonie, 1561 bureaux de poste page 168et télégraphe, par lesquels sont passés 35 millions de lettres, 17 millions de livres et échantillons, 15 millions de journaux, 2 millions et demi de cartes postales ou cartes-lettres et 200000 colis postaux. Ces derniers, créés depuis peu, vont augmenter de nombre en raison des grandes facilités qu’ils offrent au public. Comme en Suisse et dans d’autres pays, si vous devez, ici, expédier un paquet de ce genre, vous n’avez qu’à le remettre dans un bureau de poste, affranchi au moyen de timbres et tout est dit. Je me suis souvent demandé pourquoi, chez nous, ces colis doivent être portés dans une gare ou un bureau de ville du chemin de fer, nécessitant le remplissage d’une déclaration détaillée et timbrée. C’est infiniment plus compliqué. En quoi diffèrent-ils sauf le poids, des paquets ordinaires de grande vitesse et pourquoi les appeler postaux, puisque la poste ne s’en charge pas? Il y a, comme cela, des mystères administratifs dont la profondeur paraît insondable. Contrairement, d’ailleurs, à une opinion très répandue, nous n’en avons pas le monopole en France. Si je me souviens bien, on ne vend pas de timbres dans les bureaux de poste espagnols, et, quand vous recommandez une lettre ou expédiez un télégramme tra los montes, il faut, après vous être renseigné sur le coût, aller au bureau de tabac le plus voisin et rapporter à la poste lettre ou dépêche ornée de diverses effigies d’Alphonse XIII, jusqu’à concurrence de l’affranchissement exact.

Le nombre des lettres, en Nouvelle-Zélande, va devenir bien plus élevé, dès 1901, par suite de l’adoption du penny postage, affranchissement uniforme, à 10 centimes, de la colonie pour l’Angleterre et tous protectorats et possessions britanniques.

Les télégrammes sont nombreux, le réseau étant très étendu (11000 kilomètres de fils électriques). Il a été transmis sur ces fils, en 1899, 4 millions et demi de dépêches télégraphiques, certains grands bureaux en passant de 1500 à 3700 par jour. L’État a perçu, de ce chef, plus de 4 millions. Les télégrammes sont encore un peu chers (60 centimes minimum pour douze mots ou au-dessous, et 10 centimes le mot à partir du treizième), page 169mais, avec le tarif prochain, à 5 centimes sans minimum, leur nombre sera assez grand pour que l’on puisse envisager, déjà, une augmentation dans les recettes, malgré l’abaissement de la taxe.

La lumière électrique commence à être d’un usage courant; toutes les constructions nouvelles, même les maisons particulières en sont pourvues. Les rues, à Wellington et dans quelques autres villes, sont éclairées par ce système.

Quant au téléphone, il est fort employé:dans chacune des quatre grandes villes; il y a de 2 à 3 mille abonnés, soit le vingtième de la population.

Or, comme plusieurs personnes s’en servent dans chaque maison, on peut dire que la moitié des habitants usent de ce moyen de communication. Beaucoup de grosses affaires commerciales et de banque se traitent de la sorte; on finit par s’habituer tellement au téléphone qu’on se demande comment l’on ferait pour s’en passer.

L’abonnement n’est pas trop élevé, 125 francs par an, et il est bien vite regagné par l’économie de temps et de voitures quand on habite un peu loin du centre. Depuis le commencement de 1900, le Gouvernement a eu l’idée d’utiliser les fils télégraphiques, pour relier entre elles, par le téléphone, les grandes villes de la Nouvelle-Zélande. Durant les heures où le télégraphe ne fonctionne pas, c’est-à-dire tous les jours, de minuit à huit heures du matin et le dimanche entier, de Wellington on cause avec Auckland ou l’île du Sud, à des distances de plusieurs centaines de kilomètres pour 3 francs. Moyennant 60 centimes, on peut correspondre quotidiennement avec les villes situées dans un rayon de 30 milles anglais, et pour les communications interurbaines, jusqu’à 16 kilomètres, aucun supplément n’est perçu.

Disons, en résumé, qu’au point de vue des sciences appliquées à l’industrie, ce pays neuf ne le cède en rien aux ancuiéns; les inventions nouvelles sont connues et mises en pratique, dès leur apparition; en somme, le mécanisme de la vie page 170ressemble beaucoup à celui de l’Amérique. Les mœurs aussi, les habitudes, et souvent même les manières des Néo-Zélandais sont modelées, moins sur celles de leurs frères anglais, que de leurs cousins des États-Unis. Toutefois, dans ces pays-là où la civilisation est plus ancienne, les gens arrivés tâchent de se faire une espèce de passé artistique, tant en achetant à prix d’or des oeuvres d’art qu’en copiant la civilisation du Vieux Monde.

Ici, l’on est plus en retard, et la Nouvelle-Zélande ressemble beaucoup, j’imagine, à ce que devaient être certains Etats de l’Union, il y a cinquante ans. C’est une colonie très favorable aux agriculteurs, négociants, banquiers, etc., en un mot à tous ceux dont le principal objet est de faire de l’argent. Elle est intéressante pour le touriste et l’observateur politique, mais, pour les rares personnes qui y résident sans avoir constamment l’un des buts précités devant les yeux et dont la condition est modeste, elle ne doit pas être très agréable à habiter.

Quand on a beaucoup d’argent, c’est autre chose; car, parmi les religions nombreuses dont le pays est émaillé, il est un culte qui ne figure point aux statistiques officielles mais réunit, de beaucoup, le plus grand nombre d’adeptes, c’est celui du « veau d’or ». Si l’on y réfléchit, c’est, en somme, très naturel.

On ne trouve pas ici de familles riches, depuis plusieurs générations, et presque tout le monde éprouve une juste fierté de l’argent gagné. Combien « vaut un tel »? suivant la formule américaine, voilà ce que l’on s’inquiète de savoir. Le chiffre est-il important, l’heureux possesseur aura droit à une considération proportionnée.

Des années encore, par la force même des choses, passeront avant que les autres manières d’estimer un homme, qui ont cours, dans les civilisations plus anciennes, deviennent d’une pratique constante aux antipodes.

Le lecteur, sans doute, se pose maintenant la question suivante: Somme toute, que fau-til penser de la Nouvelle-Zélande? — Que c’est une magnifique colonie en progrès cons-page 171tant, dironsn-ous. —Et des Néo-Zélandais? — Nous n’hésitons pas à répondre: Le plus grand bien, malgré de petits travers.

Qui n’en a pas? Ils possèdent les plus séricuses qualités que ces travers mêmes, comme l’ombre fait au tableau, ne font que mieux ressortir. Ils sont intelligents, actifs, travailleurs et pourvus, au suprême degré, de ce sens pratique qui fait, quoi qu’on en ait, de l’Anglo-Saxon le premier peuple colonisateur du monde.

Illustration of a flying fox across the Wanganui River.

Allant a l’école. passage de la riviére de Wanganui dans son cours supérieur.

Au rebours de ce qui se passe chez nous, où les gens allant aux colonies n’ont, en général, qu’une idée: faire fortune le plus vite possible et rentrer en France pour y jouir de l’argent gagné, l’Anglais s’établit, à titre définitif, dans le pays choisi par lui. Il y transporte ses habitudes tudes, ses sports, y fonde une famille, en un mot, en fait son home.

Tout en restant profondément attaché à la mère patrie qu’il ira revoir, où il tiendra à envoyer, au moins une fois, ses enfants, si ses moyens le lui permettent, il devient citoyen de son pays d’élection dans toute l’acception du terme, et s’il reste toujours Anglais, il est, avant tout, Australien en Australie, Canadien au Canada et Néo-Zélandais en Nouvelle-Zélande.

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C’est là, croyons-nous, l’une des causes les plus puissantes du développement rapide et continu des possessions britanniques.

Nos voisins ont bien profité de la leçon reçue en Amérique, il y a un siècle, et se sont pénétrés de la nécessité d’accorder à leurs grandes colonies une autonomie complète, afin d’empêcher une séparation qui, sans cela, se fût produite par la force des choses et le tempérament des habitants. Les jeunes générations conservent, en effet, l’amour traditionnel du pays d’origine; mais, nées dans ces contrées lointaines, c’est celles-là qu’elles considèrent comme leur vraie patrie.

Les coloniaux tiennent à être gouvernés par des gens du pays; ils veulent que les lois auxquelles ils obéissent émanent de législateurs élus par eux, connaissant leurs désirs, leurs aspirations et leurs véritables besoins, beaucoup mieux que le Gouvernement central dont l’autorité, exercée à distance, offre toujours une vague apparence d’oppression. En tout cas, les lenteurs inévitables de celui-ci nuisent à l’expédition des affaires. En outre la métropole, quand elle administre ses colonies, ne peut se défendre, ne fût-ce que par habitude, d’une tendance à favoriser son propre commerce.

N’est-ce pas, dans une certaine mesure, la persistance de l’Espagne à vouloir assurer, dans ses possessions, un régime trop favorable à ses seuls produits, qui a fait grossir le nombre des mécontents, et contribué peut-être à la perte des derniers lambeaux d’un empire colonial qui fut, jadis, le plus magnifique du monde?

L’Angleterre, accordant au sien une liberté complète et confiant à la loyauté de ses sujets de l’autre hémisphère la garde de l’Union Jack, s’est assuré leur fidélité beaucoup mieux que par des troupes d’occupation. Le lien qui rattache les Australasiens à la métropole est si léger qu’ils ne peuvent en voir que les avantages, et la présence du gouverneur, représentant le roi, loin d’évoquer chez les habitants une idée de servitude, met en lumière, à leurs yeux, le côté glorieux de la situation dont ils savent au besoin tirer vanité, car il ne leur page 173déplaît nullement d’être citoyens d’une grande puissance.

Si la guerre du Transvaal a causé à l’Angleterre, avec quelques surprises désagréables, de gros sacrifices d’hommes et d’argent, elle a eu un bon côté, en provoquant dans toutes les colonies autonomes un mouvement enthousiaste de loyalisme envers la mère patrie. L’avantage moral en est inappréciable au moment où une véritable nation se fonde en Australie, tandis qu’un groupement insulaire des principaux archipels océaniens paraît devoir constituer, à bref délai, une fédération polynésienne, ayant comme centre politique et administratif la Nouvelle-Zélande. La visite du duc et de la duchesse d’York, achevant de resserrer ce nouveau lien, vient de cimenter l’indissolubilité de l’Empire britannique.

Dans un pays à self government, les luttes politiques sont naturellement très vives.

Les élections à la Chambre des représentants ont lieu, tous les trois ans, et pendant le semestre qui les précède, la vie du pays semble se concentrer tout entière dans la préparation du grand événement.

Le droit de vote accordé aux femmes, depuis 1893, a certainement contribué à rendre plus animées les périodes électorales; mais, à part cela, il n’a point produit de changement appréciable dans l’orientation politique de la colonie. Beaucoup de femmes n’usent pas de la prérogative que leur confère la loi, et la plupart des autres votent comme leurs maris, leurs pères ou leurs frères. Les spinsters (vieilles filles), dont beaucoup n’ont de féminin que le nom et semblent faire partie d’un sexe intermediaire, sont les plus ardentes, avec les femmes de chambre et les cuisinières, à se rendre aux sections de vote. Les premières se figurent remplir un apostolat; quant aux autres, on le devine, la principale raison pour elles de déposer leur bulletin dans l’urne est de voter pour l’adversaire du candidat que patronnent leurs maîtres.

Les femmes électeurs exercent, cependant, une influence au point de vue de la « prohibition ». On appelle ainsi le mouvement page 174qui se dessine de plus en plus fortement, chaque année, dans le sens de l’interdiction du débit des boissons alcooliques. Déjà, les prohibitionnistes ont réussi à faire voter une loi qui empêche la vente de tous vins ou spiritueux, sauf aux voyageurs, du samedi à minuit jusqu’au lundi matin, et défend dans certains comtés de fournir, à aucun moment, des boissons fermentées aux indigènes. Un referendum, pris dans toute la Nouvelle-Zélande, le jour des élections générales de 1899, a donné un nombre de voix imposant au projet d’interdiction totale à soumettre au Parlement; il s’en est fallu de peu, même, que les oui ne l’emportassent sur les non. Évidemment, la prohibition complète paraît impossible dans la pratique, et il est douteux qu’elle soit jamais votée. Cela n’est pas, néanmoins, tout à fait invraisemblable, certains personnages influents étant membres très actifs de la ligue en question.

Quoi qu’il en soit, l’interdiction partielle a donné déjà un résultat moralisateur, et la statistique constate, depuis sa mise en vigueur, une diminution dans la criminalité. Elle a surtout été fort utile pour les naturels. Beaucoup de jeunes Maoris sont actuellement teetotalers. S’ils avaient continué à boire comme leurs pères le faisaient, aux premiers temps de la colonisation, la race indigène succombant à l’ivrognerie et à la phtisie, qui en est pour elle conséquence ordinaire, aurait déjà presque disparu.

Nous avons parlé de l’animation des sections devote, les jours d’élection. C’est là, sans contredit, l’effet le plus sensible de l’extension du droit de suffrage aux femmes. Que sera-ce donc si elles deviennent éligibles à la Chambre? Les braves spinsters, citées plus haut, se donnent périodiquement un mal énorme pour assurer le triomphe de leurs candidats.

Plusieurs jours avant le scrutin, elles parcourent le quartier, vantant les mérites de l’homme politique de leur choix, exhortant les amis, réchauffant le zèle des tièdes, bravant même l’hostilité des adversaires, dans l’espoir de les convertir à leurs idées. Leur éloquence se déverse particulièrement sur les domestiques.

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Aux dernières élections générales, deux de ces apôtres sont venues chercher les miennes et les ont emmené voter.

Les candidats fortunés font prendre, à domicile, les vieillards, les paresseux et les pensionnaires de maisons de retraite, qui ne sont pas tout à fait impotents. Leur gracieuseté s’étend, en outre, à certains électeurs valides, qui ne se dérangeraient pas sans cela, et s’offrent ainsi une promenade en breack, aux frais du futur député.

Le soir, la foule, en proie à une véritable fièvre de curiosité, s’écrase devant les journaux où les résultats affichés, au fur et à mesure, sont accueillis par des grognements ou des applaudissements variés. Comme les principaux hommes politiques et les élus, sitôt proclamés, adressent des discours à la foule, du haut des balcons, jusqu’à deux et trois heures du matin, c’est une animation indescriptible.

Les femmes ne sont pas éligibles à la Chambre des représentants, mais les fonctions municipales leur sont ouvertes. Toute fois, depuis 1893, date à laquelle cette faculté leur a été concédée, les expériences n’ont pas été nombreuses.

La plus connue est celle de la mairesse ou la maire, oomment dire? d’Onehunga, petite ville située dans la banlieue d’Auckland et tête de ligne des steamers qui, par la côte ouest, font le service entre la grande ville du Nord et Wellington.

En 1897, Mme X… fut élue à la première magistrature municipale de cette agglomération suburbaine. Une expérience de ce genre ne pouvait manquer d’être suivie, avec le plus grand intérêt, dans toute la colonie et même en Australie. Elle ne fut point, tout compte fait, favorable aux partisans de l’accessibilité du beau sexe aux fonctions publiques. Si Mme X…, en effet, personne intelligente et instruite, à force de piocher les autorités sur la matière, devint bientôt de première force en théorie, il en fut autrement dans la pratique. Ayant conscience de faire pour le mieux, il lui semblait que le Conseil municipal devait se borner à ratifier ses décisions. Mais les conseillers, réduits au rôle de personnages muets, ne tardèrent pas à page 176regimber et se fâchèrent tout rouge, quand ils virent la dame agir comme s’ils n’eussent pas existé.

Voulant obliger leur présidente à démissionner, mais désireux d’éviter des discussions tournant à l’aigre, ils eurent recours à un procédé aussi simple qu’efficace. Chaque fois qu’elle proposait une mesure, le Conseil, avec une touchante unanimité, votait contre. Engageait-elle une dépense, on lui rognait les crédits. Bref, la situation devenait intenable.

Mme X… eut le bon sens de ne pas s’obstiner et revint à son intérieur. On raconte, — détail amusant, — que l’instigateur du complot était son mari. Depuis l’arrivée de sa femme aux honneurs, l’infortuné n’avait plus de home, les vulgaires détails du ménage paraissant trop mesquins à la dame, comparés au soin de la chose publique. Il imagina alors la petite combinaison qui devait ramener la paix à son foyer.