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La Nouvelle-Zélande

Chapitre IV Coup d’œil sur la situation économique. — Wellington, la capitale et ses habitants

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Chapitre IV Coup d’œil sur la situation économique. — Wellington, la capitale et ses habitants.

Le budget annuel de la colonie varie de 125 à 140 millions de francs; son commerce extérieur dépasse 600 millions et augmente chaque année; elle possède actuellement de bonnes finances. Malgré les sommes votées pour l’envoi de neuf contingents au Transvaal et l’augmentation des défenses maritimes et terrestres, il n’y aura pas besoin, tout porte à le croire, de recourir à des emprunts d’Etat. Néanmoins, l’accroissement constant du nombre des fonctionnaires et la mévente de certaines grandes propriétés achetées par l’Etat pour les revendre en parcelles pourraient bien nécessiter cette mesure, dans quelques années, si l’on n’y prend garde. Sur un mouvement commercial de plus d’un demi-milliard de francs, l’année dernière, les exportations ont augmenté et dépassent beaucoup maintenant les importations. Du reste, si même cette plusvalue n’existait pas, les finances néo-zélandaises ne seraient point en péril en raison des droits de douane fort élevés que les marchandises étrangères acquittent à l’entrée. Très peu sont libres; parmi les payantes, il n’y en a pas de taxées au-dessous de 5 pour 100; la moyenne est de 25 pour 100 ad valorem et certaines acquittent jusqu’à 40 pour 100. Quant aux vins et spiritueux, comme les qualités supérieures ne sont pas les plus vendues en ce pays, cela va parfois à 100 ou 150 pour 100. Exemple: 375 francs de droits pour une barrique, voilà de quoi vous dégoûter de boire du vin. Il faut done, si l’on ne veut se ruiner, grossir le nombre des consommateurs de thé et de sucre. Chaque habitant absorbe annuellement de 6 à 7 kilos de page 55thé. Quant au sucre, 100 livres par an, par tête, soit 130 livres par adulte, voilà la consommation moyenne en Nouvelle-Zélande. N’est-ce point énorme, et les Néo-Zélandais ne devraient-ils pas être tout miel et tout sucre? Or, si ce sont d’excellentes gens remplis de bonnes qualités, le souci de la position à se créer ne leur a pas laissé, en général — je parle des classes intermédiaires — le temps d’affiner beaucoup leurs manières et leur langage. Malgré leur suralimentation saccharidée, ils ne portent point il zucchero in mezzo al cuore, comme dans la sérénade de don Juan.

Le commerce le plus important est celui des produits animaux représentant la moitié de l’exportation totale de la colonie. Les carcasses congelées de moutons et la laine figurent dans ce dernier chiffre pour les cinq sixièmes, celle-ci représentant seule 144 millions de francs. Ce n’est pas étonnant si l’on songe qu’il y avait, au dernier recensement, 23 millions de moutons, en Nouvelle-Zélande, répartis de la façon la plus variée, depuis les tout petits cultivateurs qui en ont de 40 à 50, jusqu’aux grandes stations où on les compte par centaines de mille. Pendant les trois ou quatre mois que dure la saison, partout l’on tond, l’on met la laine en balles pressées; les chemins de fer et bateaux regorgent de ballots à destination du vieux Continent. La quantité de laine manufacturée sur place est insignifiante; le prix exagéré de la main-d’œuvre en est la cause. Une balle de laine envoyée en Angleterre et transformée en étoffe revient à meilleur marché en Nouvelle-Zélande, après avoir acquitté le fret d’un voyage de quatrevingt-dix jours, les frais de fabrication et toutes dépenses accessoires, que si elle était tissée dans la colonie.

A propos de laine, rien n’est plus pittoresque et amusant que de voir procéder à la tonte dans une des grandes exploitations dont nous parlions tout à l’heure. Les animaux sont parqués par trente ou quarante à la fois: devant chaque box se tient un tondeur brandissant une paire d’énormes ciseaux et, quand sonne l’heure fixée pour le commencement du travail, il page 56empoigne le premier mouton, le place entre ses jambes et se met en devoir de le débarrasser de sa toison. L’opération demande, en général, quatre minutes montre en main. Comme ils sont payés aux pièces, ils tâchent d’abattre le plus de besogne possible dans leur journée; aussi n’y mettent-ils pas grande délicatesse, et de longues bandes rouges, striant le dos des moutons, montrent que la laine seule n’est pas toujours coupée. Plus le tondeur est novice, plus les estafilades, naturellement, sont nombreuses, mais les pauvres bêtes ont beau bêler de façon lamentable, les shearers1 n’ont pas l’âme tendre, et leur temps est trop précieux pour s’apitoyer. A une livre sterling le cent, c’est le chiffre minimum d’un tondeur ordinaire, cela fait de belles journées. Les adroits en rasent plus de cent cinquante, soit un salaire quotidien d’environ quarante francs, et la saison dure quatre mois. Ces gens devraient être riches n’est-il pas vrai, d’autant qu’ils travaillent le reste de l’année sur le pied de douze francs par jour. Eh bien! le dimanche soir, toute la paie du samedi est dépensée, plus une dette de une ou deux livres, contractée aux cabarets voisins, que l’on impute sur la semaine à venir. Il y a quelques exceptions à cette frénésie de dépenses, mais les ouvriers économes sont rares, presque toujours l’argent file aussi vite qu’il est facilement gagné.

De pareils salaires grèvent lourdement les frais généraux; aussi, dans toutes les stations où le nombre des moutons est assez considérable, on a recours à la machine à vapeur. Sur un arbre de couche en fer sont espacées, de 2 en 2 mètres, de petites roues autour desquelles s’enroulent des tubes en caoutchouc actionnant les tondeuses assez semblables, sauf le moteur, à celles que l’on emploie en Europe pour les chevaux. Un mouton est rasé par ce procédé, en trois minutes; la tonte est plus égale, et l’on supprime les coupures de ciseaux assez profondes qui s’enveniment à l’air et font parfois crever un certain page 57
Sheep-shearing, New Zealand, c.1904.

l’Élevage du mouton en Nouvelle-Zèlande. — tondeurs au travail — photographies de J. Martin, a Auckland.

page 58 page 59nombre d’animaux. Une minute, cela n’a l’air de rien, mais moyennant un salaire fixe d’une livre, un homme en tond ainsi près de deux cents; il fait donc un ouvrage qui aurait coûté le double pour le même nombre abattu aux ciseaux. Si l’on a cent mille moutons à raser, la même année, comme cela arrive dans les stations importantes, la tondeuse à vapeur est payée bien vite et l’économie, plus tard, est considérable.

Les machines agricoles de toute espèce trouvent naturellement leur emploi dans un pays où les exploitations sont fort étendues, la population des campagnes clairsemée et la maind’ œuvre hors de prix. On. commence même à faire un peu partout, dans les grandes plaines, du labourage à vapeur; il donne de bons résultats, surtout dans les défrichements.

L’élevage est très prospère; le nombre du bétail, qui va toujours croissant, assure le succès de l’exportation des produits des animaux. Nous avons déjà dit le nombre de moutons (23 millions) en Nouvelle-Zélande. Les races pures, lincoln, southdown, romney, mérinos ou croisements de ces races, s’y montrent aussi avantageuses pour la viande que pour la laine, dont certains sujets donnent jusqu’à 25 et 30 livres par an.

On comptait, au dernier recensement, plus de douze cent mille bêtes à corne, d’excellent modèle la plupart. Les deux races les plus en faveur pour le lait sont les Ayrshire et les petites vaches de Jersey. En ce qui concerne la viande, j’ai vu, dans les nombreux comices agricoles qui se tiennent sur tous les points de la colonie, des types de Durham Shorthorns, purs ou croisés, ne le cédant en rien aux plus remarquables sujets de France et d’Angleterre. La sélection est d’ailleurs pratiquée avec un soin judicieux. Aucun grand éleveur n’hésite à faire venir d’Europe, à frais considérables, de temps à autre, des reproducteurs de choix pour empêcher l’abâtardissement inévitable des races chez lesquelles le sang n’est pas renouvelé.

L’espèce chevaline était représentée, en 1900, par près de deux cent soixante mille individus. La race de trait, issue principalement des Clydesdale, est en général très bonne.

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Produits d’une sélection exercée avec intelligence, les poulains, qui trouvent dans les pâturages du pays une herbe abondante et nutritive, réussissent bien; les membres, les épaules et la poitrine atteignent un développement remarquable, et la Nouvelle-Zélande est, on peut le dire, exceptionnellement bien pourvue en animaux de cette classe. Les chevaux de trait léger et de selle sont bons aussi, mais la moyenne est inférieure à ceux de gros trait. Quant aux pur-sang dont l’élevage est un véritable succès, nous en reparlerons en détail au chapitre du sport.

Avant d’en finir avec l’agriculture, un mot en passant sur le vin, car on récolte, maintenant, sur le vieux sol des Maoris, la liqueur chère à Rabelais et à Béranger. C’est à des religieux maristes français que revient l’honneur de l’avoir introduite ici. Ils en fabriquent au noviciat de l’ordre, à Meanee, province d’Hawkes Bay. Ce vin, fait sous la direction d’un frère originaire d’un pays de vignobles, est bon, mais serait meilleur encore si on le laissait tel quel au lieu de l’additionner de sucre et d’alcool. C’est, il est vrai, un sacrifice au goût des Néo-Zélandais, si peu connaisseurs en bouquet qu’un industriel du pays peut fabriquer un liquide épais qu’il intitule: vin de Nouvelle-Zélande, et qui est, tout bonnement, un mélange de jus de raisin quelconque avec de l’alcool inférieur, des mûres, de la rhubarbe et un peu de résine. Cette mixture extraordinaire se vend 4 francs la bouteille. Le seul vin vraiment digne de ce nom est récolté par un propriétaire de Masterton, M. B…, qui a vécu en France où il s’est pénétré de nos méthodes de culture et de vinification. Il obtient un petit vin léger, sans beaucoup de couleur, assez semblable comme aspect et goût à nos crus secondaires des côtes du Rhône. On peut donc faire du vin en Nouvelle-Zélande, et c’est là une des rares branches d’industrie dans laquelle des Français, connaissant bien la partie et possédant quelques capitaux, pourraient, je crois, réussir.

Ceux de nos lecteurs, qu’intéresseraient des détails plus circonstanciés sur le commerce et l’agriculture du pays, trouveront page 61
Central Business District, Wellington, New Zealand, c.1904.

l’Hotelades postes a Wellington — photographie de J. Martin, a Auckland.

page 62 page 63en appendice, à la fin de ce volume, quelques-uns de mes rapports sur le sujet, publiés antérieurement dans le Moniteur officiel du Commerce.

Wellington est la capitale du pays l’« Empire City » comme l’appellent un peu pompeusement les Néo-Zélandais. Je regrette de le dire, mais ce n’est pas une très jolie ville. N’était sa position au centre de la colonie, qui a motivé le transfert du Gouvernement installé d’abord à Auckland, et son excellent port, Wellington ne serait sans doute jamais devenue la capitale. Qu’on se figure un fond de cuvette, au pied de montagnes jadis couvertes de grands arbres, mais aujourd’hui dénudées, où s’étage un amas de maisons en bois, voilà le coup d’œil offert aux arrivants. Sans doute il y a çà et là quelques jolies habitations et de beaux jardins, mais ils sont rares, et la configuration même du terrain empêche la ville, dont la population croît tous les jours, de s’étendre autrement qu’en amphithéâtre. De là cette succession de maisons accolées et superposées les unes aux autres, de là aussi la cherté du terrain, partant le prix élevé des loyers. Pour se loger dans la capitale, on donne un peu plus de ce que l’on paye dans les autres villes de la colonie qui, non enserrées dans une ceinture de montagnes, se développent d’une façon rationnelle.

Wellington s’appelait à l’origine Port Nicholson; on y comptait, il y a soixante ans, deux ou trois cabanes de baleiniers et un magasin tenu par un Européen, dont la fortune ainsi commencée est devenue colossale. Le nouveau port prospéra vite, et la ville, qui ne tarda pas à s’élever, reçut en 1841, année de la mort de Wellington, le nom du Duc de Fer. Pendant bien longtemps le bois fut seul employé dans les constructions; il n’y a pas trente ans qu’on a commencé à bâtir en briques. Les maisons de commerce ont donné l’exemple, et le Gouvernement a suivi en faisant construire l’Hôtel des Postes, le « Harbour board », les bâtiments de la « Government Life Insurance » et l’Imprimerie nationale. Les premiers ne sont pas beaux, mais peuvent passer à la rigueur, tandis que le dernier réalise le page 64type de l’inélégance dans la lourdeur. Enfin, tel qu’il est, ce monument fait l’orgueil des habitants, ils le trouvent superbe: peut-être répond-il plus exactement, après tout, à leur conception particulière du beau que certains autres, objets, depuis des siècles, de l’admiration des hommes. Le fait suivant, dont je garantis l’authenticité, porterait à le croire. Un bon Wellingtonien, faisant partie de ce que l’on nomme la société, éprouva, il y a deux ans, le besoin de se payer un petit tour d’Europe: cela achève de poser un homme aux antipodes. Il accomplit, est-il besoin de le dire, cette pérégrination dans l’autre hémisphère avec la rapidité des Cook qui voient Rome en vingt-quatre heures et l’Italie en huit jours. L’Anglais, d’ailleurs, voyageant comme un colis, c’est-à-dire parcourant avec conscience des kilomètres et, à part la galopade en troupe dans les musées, ne voyant guère que les casquettes des chefs de gare, n’est pas, il s’en faut, une exception, mais je ne sais si la généralité rapporte des souvenirs aussi savoureux que notre Néo-Zélandais. Une Anglaise, de passage ici, qui a habité longtemps la France et l’Italie et se pique d’esthétique, eut la curiosité de lui demander son impression sur Saint-Pierre de Rome. Elle fut pétrifiée d’horreur en obtenant la réponse suivante: « Ce n’est pas mal (sic), mais je ne comprends pas pourquoi on en parle autant (one makes so much fuss about it). Dans notre pays, pourtant si jeune, nous avons des monuments aussi beaux, par exemple, le « Printing Office » à Wellington ». Et notez qu’il ne raillait pas, le pauvre! Ah! Dieu non, il parlait dans toute la sincérité de son âme. Lorsqu’un de ces braves gens, d’ailleurs, revient du tour d’Europe, de suite les reporters l’assaillent et, le lendemain, les colonnes d’un journal reproduisent in extenso les impressions rapportées du vieux Continent par le voyageur. On y voit, à côté d’aperçus parfois ingénieux, des jugements, en deux ou trois lignes, sur les événements du jour et les grands personnages contemporains, qui sont tout bonnement délicieux. Un riche cloutier a traversé la Hollande, il est, comme de juste, questionné sur la conférence de la Haye et, en un tour de page 65
Parliamentary Library, Wellington, New Zealand, c.1904.

La bibliothèque du parlement a Wellington. — photographie de J. Martin, a Auckland.

main, il vous a dévoilé le fonds et le tréfonds de la politique du tsar. Un éleveur de moutons a passé trois jours à Paris et il trace, de l’état d’anarchie qui, selon lui, désolerait la France, un tableau à faire dresser les cheveux sur la tête. Pour cet autre, les intentions de Guillaume II sont percées à jour. Le quatrième, enfin, durant une petite halte en Angleterre, a été assez heureux pour surprendre ce que lord Salisbury dit dans le creux de l’oreille à Joe (M. Chamberlain); il n’a pas, croyez-le bien, l’égoïsme de garder ce secret pour lui, mais en fait généreusement profiter ses concitoyens.

Littérature, beaux-arts, musique, potins des cours, grande société des capitales européennes, rien ne leur est étranger, tout y passe… accompagné de titres alléchants: « La question d’Orient, intéressante interview de M. Smith; l’état de l’Europe, le prochain bouleversement, opinion de M. Jones; le partage de la Chine, saisissantes impressions de M. Brown junior; l’abdication de l’empereur d’Autriche, son entrée en religion, confi-page 66dences faites à M. Pumpkin par un grand seigneur hongrois. » Cela rappelle le journaliste américain qui, à l’arrivée d’une jolie artiste parisienne de café-concert, se précipite pour l’interviewer et, voulant obtenir l’impression de cette charmante personne sur un sujet bien d’actualité — le pape était très malade — lui demande à brûle-pourpoint: « Que pensez-vous du prochain conclave? »

Les deux principales rues de Wellington sont Willis street, une longue artère, la plus ancienne de la ville et Lambton Quay qui la continue. Cette dernière, tout en étant située au cœur de la cité, porte le nom de Quai, assez bizarre à première vue, mais qui s’explique par ce motif, qu’il y a trente ans, c’était un quai réellement: toute la partie de la ville s’étendant à l’est de cette voie a été conquise sur la mer. Là se trouvent les principaux magasins, dont la plupart ont une espèce de marquise montée sur des colonnes creuses en fonte et couvrant le trottoir. C’est plutôt laid, mais cela présente l’avantage de fournir un abri contre la pluie. C’est la rue de Rivoli… des antipodes. Au point de vue des moyens de transport, Wellington est décidément très en retard. De petits tramways à traction de chevaux, ne passant que toutes les dix minutes et ne desservant pas le quartier où sont les habitations particulières, voilà ce que la cité impériale offre comme moyen de locomotion dans des prix accessibles à toutes les bourses. On annonce des tramways électriques pour 1902. Les verra-t-on?

Quant aux fiacres stationnant sur la voie publique, ils sont, sauf de trop rares exceptions, vieux et malpropres. Si encore le tarif était bon marché, mais c’est tout le contraire; 6 fr. 25 l’heure, de huit heures du matin à sept heures du soir, 12 fr. 50 (le double) de sept heures à dix heures; 19 francs pour vous mener dîner en ville et 25 francs si l’on rentre après minuit, voilà qui n’est pas très engageant. Pourtant la voiture n’est pas un luxe dans une ville où il pleut souvent et vente toujours. Beaucoup d’hommes se rendent pédestrement aux soirées chaussés de gros brodequins et portant sous le bras ou dans un petit sac page 67
View of Wellington City, c.1904.

vue générale de Wellington. — photographie de J. Martin, a Auckland.

une paire d’escarpins qu’ils enfilent au vestiaire et échangent de nouveau contre la chaussure forte pour s’en retourner. Je ne fus pas peu étonné, un jour, en accompagnant un des plus hauts personnages de la colonie, qui m’avait fait l’honneur de dîner chez moi, de le voir se déchausser dans l’antichambre; j’allais lui demander s’il avait mal aux pieds; fort heureusement cette question intempestive expira sur mes lèvres. Son geste m’avait été expliqué par l’ouverture d’un paquet extrait de la poche de son pardessus et qui contenait les souliers du retour. Depuis que j’ai vu se reproduire souvent cette petite opération, elle me paraît presque naturelle; néanmoins je n’ai pas encore pris l’habitude d’aller dîner en ville avec mes souliers sous le bras. Quelques dames, plus mondaines que fortunées, le font cependant ou déambulent dans les rues, la nuit, chaus-page 68sant de grosses pantoufles par-dessus leurs souliers de bal; elles tiennent leurs jupes à deux mains. Faut-il avoir envie d’aller danser tout de même!

Un des grands inconvénients de Wellington, le plus grand même, c’est le vent, mais sa violence est moins remarquable que sa continuité. Il y en a toujours dans la capitale, même par le plus beau temps, et je n’y ai vu, en trois ans, qu’une dizaine de jours tout à fait calmes. Si la Nouvelle-Zélande est fortement éventée, cela tient à sa position isolée dans l’océan Pacifique, qui permet aux terribles enfants d’Éole d’arriver tout droit du pôle sud, sans qu’aucun pouce de terre vienne mettre un frein à leur fureur. Ces réminiscences de l’Énéide feraient, sans doute, plaisir au bon abbé Delille. Malheureusement Neptune n’est plus là pour prononcer le Quos ego; aussi les vents s’en donnent à cœur joie, surtout à Wellington, située au centre du détroit de Cook, où la brise s’engouffre d’est et d’ouest, formant un courant d’air terrible dans un vrai corridor.

Non seulement cet insupportable vent vous coupe la respiration, vous fatigue et vous empêche d’avancer quand vous l’avez debout, mais il soulève, en outre, des tourbillons de poussière constituant, pour le nouvel arrivé surtout, un véritable supplice. La semaine, passe encore: on arrose les rues les plus fréquentées; mais le dimanche, avec la chaleur en moins, c’est le kamshin d’Afrique; la poussière entre dans les yeux, dans le nez, se colle sur la figure, embroussaille la barbe, remplit la bouche de sable, c’est absolument odieux. Que si vous insinuiez seulement l’utilité d’arroser un peu le jour du Seigneur, vous passeriez pour un affreux profanateur « Sabbath desecration ». On voit bien que le sang des vieux puritains d’Ecosse coule dans les veines de beaucoup de Néo-Zélandais. Le repos dominical est poussé ici à un point dont on n’a pas l’idée en Europe.

1 Tondeurs.