La Nouvelle-Zélande
Chapitre VIII Le sport. — Les courses et le jeu. — La vie matérielle
Chapitre VIII Le sport. — Les courses et le jeu. — La vie matérielle.
Tous les sports: tennis, foot-ball, polo, golf, yachting, etc., etc., sont en grand honneur en Nouvelle-Zélande et, de cela, on ne peut que faire compliment aux habitants de la colonie. Quand on a bien travaillé, toute la semaine, dans un bureau ou dans une banque, que l’on s’est bourré jusqu’à saturation de chiffres, procédure, affrètement et chartes-parties, on éprouve réellement le besoin d’un peu de grand air. Aussi, le samedi, dès une heure, une nuée de jeunes gens escalade les omnibus, à quatre ou cinq chevaux, qui, au grand galop, les emportent vers les pleasure grounds, situés dans la banlieue de toutes les villes un peu importantes, et, jusqu’au soir, l’on s’en donne. C’est une véritable passion, entretenue encore par de nombreux matches entre les différentes sociétés, dont les grands journaux quotidiens ne dédaignent pas de donner le compte rendu détaillé.
On peut trouver là quelque exagération de culture physique, je n’y contredis point; mais cela vaut toujours mieux que de s’abrutir dans les bars ou dans d’autres lieux pires encore. Chaque peuple, d’ailleurs, s’amuse suivant ses goûts et ses traditions.
A certaines époques de l’année, on en compte jusqu’à trente dans la même semaine, et si l’on réfléchit qu’il est telle de ces réunions où 3 à 400 000 francs passent dans le totalisateur, on voit quel mouvement de fonds les courses représentent.
Le pari mutuel a été introduit dans la colonie, il y a quinze ans, à peu près en même temps qu’en France; il devait, soi-disant moraliser le jeu en supprimant les bookmakers, en qui les gens vertueux s’obstinaient à voir les auteurs de la perdition publique. Résultat: on parie beaucoup plus qu’autrefois, et les teneurs de livres, bien qu’impitoyablement traqués, continuent à exercer en cachette leur petite industrie.
Le totalisateur rapporte un gros chiffre à l’Etat; on le considérera donc toujours, en haut lieu, comme éminemment moralisateur; du reste, des sommes importantes provenant de cette source de bénéfices sont employées, comme chez nous, à encourager la production du pur-sang; la passion du joueur sert done à quelque chose d’utile.
Il serait très intéressant d’exposer en détail la façon dont est pratiqué l’élevage en Nouvelle-Zélande et de s’étendre sur la généalogie des chevaux célèbres, mais ceci ne rentrerait pas dans le cadre de notre livre. Contentons-nous de dire que les page 120Anglais ont mis en honneur, dans leur colonie comme chez eux, le précepte qui, sous la forme d’un dicton populaire, résume le problème: « Papa, maman, et le coffre à avoine »; ils ont importé de bons étalons et des juments de sang renommé, les ont croisés judicieusement, bien soignés, bien nourris. Le pays offrant d’excellents pâturages aux poulains, la race a prospéré.
Les haras de M. Morin, près d’Auckland, de sir Georges Clifford et de M. Ormond, dans l’île du Sud, de M. Stead, près de Christchurch, pour ne citer que les principaux, produisent des sujets qui figureraient avantageusement sur les grands champs de courses du continent. Les éleveurs ne reculent pas, d’ailleurs de temps à autre, devant la très grande dépense de faire venir d’Angleterre des étalons de choix, pour renouveler le sang. Ce n’est pas, au surplus, un mauvais métier, car il est tel de ces propriétaires auquel la vente annuelle d’une quinzaine de yearlings met, chaque fois, une centaine de mille francs en poche. On ne peut se faire une plus juste idée de la passion des Néo-Zélandais pour les courses, qu’en la comparant (exubérance en moins) à celle des Espagnols pour les corridas de taureaux. Dans toutes les grandes villes, un mois avant la réunion trimestrielle, on ne parle pas d’autre chose. Au club, chez les gens d’affaires, dans les magasins, dans la rue, on suppute les chances de tel ou tel cheval, ses performances, son pedigree, etc., etc., et avec beaucoup de justesse, la plupart du temps. Tout le monde, plus ou moins, est connaisseur, et j’ai entendu souvent, de la part d’un simple boutiquier, des remarques sur l’apparence ou la structure d’un favori qui n’eussent pas été déplacées dans la bouche d’un vrai sportsman.
La profession ne fait rien à l’affaire; des magistrats joignent à leur talent de jurisconsultes une véritable science hippologique, et l’on voit des avocats ou des avoués faire courir avec succès. On se figurerait difficilement chez nous un conseiller à la Cour ou l’un des maîtres du barreau, en petit complet, donnant les dernières instructions à son jockey. Personne, par contre, en Angleterre, n’a été surpris de voir lord Rosebery, page 121alors premier ministre, ramener par la bride, au pesage, Ladas, vainqueur du Derby, tandis qu’on ne se représente pas du tout M. Méline ou M. Dupuy dans ce rôle.
L’assistance aux courses est tellement passée en habitude, que beaucoup de maisons d’affaires ferment le premier jour de chaque réunion, déclaré Bank holiday. Les administrations publiques restent ouvertes, mais les trois quarts du personnel n’y viennent pas. On ferme les yeux et, du reste, si peu de gens ont l’idée de s’y présenter les jours de course, que les rares employés non piqués de la tarentule sportive suffisent, et au delà, à expédier la besogne. De dix heures page 122du matin à six heures du soir, les rues sont plus désertes qu’un dimanche, entre les offices religieux.
Tout le monde joue, les femmes et les enfants aussi, et, comme on ne peut mettre moins d’une livre sterling au totalisateur, ces derniers se cotisent et y vont de leurs deux ou cinq schellings chacun. Ma surprise fut grande, à la première réunion à laquelle j’assistai, de voir des gens presque pauvrement vêtus, des ouvriers, des cochers de fiacre, mettre leurs banknotes dans la machine. Un domestique a perdu, un jour, 30 livres, près de 800 francs. L’insouciance de l’argent en ce pays est inimaginable; on regarde certainement plus à une pièce de 5 francs en France, qu’à une livre sterling ici. L’appât du gain fausse les esprits, et le jeu leur enlève une exacte notion de la valeur de l’argent.
Dégagées de cet étalage de la passion du jeu, les courses sont généralement fort intéressantes, avec des prix élevés (il y en a de 2000 gainées) et conduites honnêtement. Les commissaires et le public lui-même se montrent d’une extrême sévérité pour tout ce qui ressemble à une monte déloyale. Quand la fraude paraît trop manifeste, le délinquant, sans préjudice de la mise à pied prononcée par la Société, est poursuivi correctionnellement sous l’inculpation de manœuvres malhonnêtes envers le public; on le condamne généralement à une forte amende, voire à la prison. Le propriétaire et l’entraîneur peuvent être englobés dans l’action en justice, s’il paraît prouvé qu’ils ont encouragé un tripotage.
Le premier départ ayant lieu à midi, il faut sortir de chez soi vers onze heures pour y rentrer à sept. C’est véritablement excessif, surtout à Wellington, où chaque fois le vent et la poussière font rage. Malgré ces inconvénients, la plupart des sportsmen et même des sportswomen ne manquent pas une réunion. J’en ai vu aller aux courses par des temps où, selon l’expression populaire, on ne met pas un chien dehors, pataugeant tout l’après-midi dans 50 centimètres de boue, plutôt que de renoncer à leur plaisir favori. De grosses sommes d’argent passent, chaque année, par le totalisateur; cela doit monter à 30 millions de francs environ pour toute la Nouvelle-Zélande. Sur une population de 700000 âmes, la moyenne par tête est assez coquette. Si l’on ajoute à cela le montant des prix, la valeur des chevaux de course et d’élevage, les salaires de ceux page 126qui en vivent et toutes les industries qui s’y rattachent, le pur-sang, on le voit, fait circuler une jolie somme d’argent dans une colonie qui n’a pas soixante ans d’existence.
Nous abordons maintenant un sujet constituant, malgré son titre terre à terre, une question fort intéressante, non seulement pour les habitants du pays, mais surtout pour ceux qui y résident temporairement ou forment le projet de s’y établir. Le lecteur a dû se douter déjà que la vie n’était pas précisément pour rien dans ce beau pays: en réalité, c’est l’un des plus chers qui soient au monde. Les loyers d’abord sont très élevés, à Wellington surtout où le terrain est rare, à cause de la situation de la ville enserrée dans une ceinture de montagnes. Il n’y a guère de logements d’ouvriers loués au-dessous d’un millier de francs. Une toute petite maison de quatre pièces se paie au minimum 1800 francs, et une habitation très modeste, 150 livres, près de 4000 francs. On ne peut trouver de résidence convenable à moins de 5000 francs (200 livres) et pour être bien logé, il faut en mettre 7000. C’est ruineux si l’on considère surtout que, pour ces prix, on n’a que des maisons en bois, très peu coûteuses à construire par conséquent. Les propriétaires gémissent quand ils ne retirent que 10 pour 100 de leurs immeubles; certains leur rapportent jusqu’à 20 pour 100 du prix de revient.
Telle a toujours été la règle, en Angleterre; et la prospérité des possessions britanniques proclame avec éloquence que c’est la bonne méthode pour coloniser. Quand donc se décidera-t-on, en France, à risquer un peu plus son argent outre mer? Nous avons assez de colonies neuves qui n’attendent que cette rosée bienfaisante pour livrer en retour les richesses qu’elles contiennent…. Mais revenons à nos moutons ou plutôt à nos maisons.
L’élévation des loyers s’explique par le taux habituel de l’intérêt; elle se justifie également par la valeur du terrain qui lui, dans certaines villes, au rebours des constructions, coûte fort cher. A Wellington, dans les quartiers excentriques, il vaut, non bâti, 400 francs le mètre carré, dans le centre, 800 francs. Bien des arrondissements à Paris n’atteignent pas ce chiffre.
Le cognac de marque se paie 20 francs la bouteille, la chartreuse 1 livre sterling, le Champagne autant. Les coloniaux apprécient surtout l’extradry qui va bien dans les 28 francs, et, comme il n’est pas admis de donner un dîner sans le nectar d’Epernay, il en coûte d’être hospitalier.
Voilà pour vous restaurer. Voulez-vous, après dîner, vous délecter d’un cigare, il n’y en a pas de fumable au-dessous de 6 pences (60 cent.) la pièce, et un passable, gros comme un cigare de 15 centimes, en France, vaut de 90 centimes à 1 franc. Continuons la liste de ces petits plaisirs. Votre cigare savouré, vous éprouvez le désir de faire un tour en ville, et vous hélez un fiacre à la station. Un véhicule peu brillant s’avance et, s’il n’est pas plus tard que sept heures, vous cahotera sur les pavés, moyennant 6 fr. 25 l’heure. De sept heures à dix heures du soir et le dimanche toute la journée, le tarif est doublé. Après dix heures ou pour sortir de la ville, c’est un prix à débattre.
On épargne peu. A l’instar de l’État, qui jouit du privilège page 134envié jadis mélancoliquement par un bohème célèbre de fixer ses dépenses d’abord et ensuite ses recettes en proportion, le Néo-Zélandais, quand il a touché sa semaine ou son mois, commence par se donner tout ce qu’il peut avec cet argent. S’il est malade, victime d’un accident, s’il meurt même, de multiples et avantageuses combinaisons d’assurances font que, loin d’être une catastrophe pour la famille, ces événements lui deviennent plutôt profitables. Comme, d’autre part, tout individu sans ressources touche un schelling par jour de l’État, dès qu’il a atteint soixante-cinq ans, on est sûr de ne jamais mourir de faim. A quoi bon alors épargner, disent-ils? Certes, secourir ceux que l’âge et les infirmités empêchent de gagner leur vie est une belle et utile disposition de la loi, mais la première année surtout, on s’est montré si coulant pour l’attribution de la pension des vieillards, old age pension, que les finances en sont sérieusement grevées, et de véritables abus ont été découverts. Tant que l’on pourra maintenir sans danger les restrictions apportées à l’immigration, et que les ouvriers néo-zélandais trouveront plus de travail qu’ils n’en ont besoin, en fixant eux-mêmes leurs salaires, cela ira bien; mais cette politique peut-elle se poursuivre longtemps? That is the question. En général, on ne réagit pas contre les lois économiques par des mesures législatives, pas indéfiniment du moins. Verra-t-on, plus tard, une crise causée par les trop grands sacrifices demandés au capital et, conséquence naturelle, une baisse importante des salaires? C’est fort possible, mais seulement, croyons-nous, dans un avenir éloigné.
C’est une étude fort intéressante que celle des lois ouvrières en vigueur depuis quelques années dans la Nouvelle-Zélande. Quelques-unes, comme l’arbitrage obligatoire, qui, en pratique, supprime les grèves, ont donné jusqu’à présent de bons résultats.
Je dois à l’obligeance de M. Tregear, sous-secrétaire d’Etat au département du Travail et, de beaucoup, l’homme de la colonie le plus documenté sur la question ouvrière universelle, des renseignements très curieux sur le fonctionnement des lois nou-page 135velles, informations que je me propose d’utiliser dans un prochain chapitre, résumant l’état actuel de la question ouvrière en Nouvelle-Zélande. Nous assistons, depuis dix ans, chez un petit peuple des antipodes qui, malgré l’hérédité bien accusée des défauts et qualités de la race anglo-saxonne, n’en a pas moins acquis un caractère distinct, à la mise en pratique d’un système de réglementation des conditions de la vie par l’Etat.
Cette tentative a paru digne d’attirer l’attention de plusieurs de nos économistes politiques. La tendance actuelle paraît être de maintenir artificiellement, par une série de lois ad hoc et un système douanier ultra-prohibitif, les hauts cours de toutes les denrées étrangères et l’élévation du prix de la main-d’œuvre. Ce système, disent ses adversaires, produit déjà des résultats néfastes, en ce sens qu’il empêche l’industrie locale, écrasée par des salaires ruineux, de se développer. Les Néo-Zélandais le maintiendront-ils tel quel ou y apporteront-ils des tempéraments? c’est ce que l’avenir nous dira. En tous cas, ils ne sont pas théoriciens ni gens à s’embarrasser d’une formule. S’ils trouvaient, à les user, que les lois actuelles sont nuisibles à leurs intérêts, ils feraient volte-face sans la moindre fausse honte, et deviendraient aussi rétrogrades qu’ils se montrent progressistes maintenant.
Quant à l’étranger, sans intérêt direct dans tout ceci, mais qui doit résider dans la colonie, il verrait sans déplaisir l’avènement d’une législation lui permettant d’y vivre d’une façon moins dispendieuse. Telle sera la conclusion pratique de ce chapitre.
1 Depuis le commencement de 1902, sur certains champs de courses, on paie le second quand il y a plus de sept partants.
(Note de l’auteur.)