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La Nouvelle-Zélande

Chapitre IX Les Maoris. — Leur origine. — Leurs mœurs. — Leurs coutumes et leurs usages

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Chapitre IX Les Maoris. — Leur origine. — Leurs mœurs. — Leurs coutumes et leurs usages.

Lorsqu’ils ont pris possession de la Nouvelle-Zélande et plus tard, dans la période de colonisation, jamais les Anglais, — c’est une justice à leur rendre, — n’ont cherché à détruire les indigènes. Ils ne cédèrent même pas à cette tentation, à la suite de la révolte générale qui, il y a trente-cinq ans, ensanglanta le pays. A la différence des Américains, qui n’ont cessé de refouler les anciens possesseurs du sol, jusqu’au point de les parquer dans des territoires trop étroits pour eux, où les descendants de « Bas de Cuir » et d’ « Œil de Faucon) achèvent de disparaître, les Néo-Zélandais ont pensé qu’il y avait place dans la colonie pour les deux races et, qu’au lieu de supprimer les Maoris, mieux valait les civiliser. Le résultat est acquis aujourd’hui, et cette politique, honneur des hommes d’Etat qui l’ont conçue et de leurs successeurs qui continuent à l’appliquer, a porté d’excellents fruits. Mais aussi ils se sont trouvés en présence d’une des plus belles et nobles races polynésiennes, à bien des degrés dans l’échelle de l’espèce humaine au-dessus des misérables aborigènes australiens.

Le nombre de ces derniers est, d’ailleurs, si faible main tenant dans certains États du Common’wealth qu’ils ne comptent plus. On n’a rien tenté pour enrayer leur disparition progressive, jugeant qu’ils n’étaient pas civilisables. Le fait que les Maoris ont des représentants dans les deux Chambres législatives de la Nouvelle-Zélande, démontre surabondamment qu’ils jouissent des mêmes droits que les sujets européens du roi Edouard VII

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Le mot « maori », dans la langue du pays, veut dire « naturel ». Malgré cette appellation, ils ne sont point autochtones. Une ancienne race, aujourd’hui disparue, a, dit-on, occupé le sol, et les ancêtres des Maoris actuels l’auraient conquis sur elle. D’autres écrivains affirment qu’à l’arrivée de ces peuplades la Nouvelle-Zélande était totalement inhabitée.

Black and white photograph of a moko-bearing warrior, Tenana, c.1904.

Un « moko » ou tatouage remarquable. Tuari tenana, grand chef d’une des plus célèbres tribus de l’ile du nord. Photographie de J. Martin, a Auckland.

D’où viennent au juste les Maoris? C’est l’une des faces du grand problème de l’origine des races polynésiennes L’opinion des ethnographes les plus autorises, corroborée par les traditions des natifs euxmêmes, est qu’ils sont venus des archipels de la zone intertropicale, à la suite d’une des guerres si fréquentes de tribu à tribu, et l’on s’accorde à placer cet événement entre le xiiie et le xve siècle de notre ère. Les chants sacrés des Maoris font remonter l’exode à vingt ou vingt-cinq générations, ce qui reviendrait à six siècles. Pourquoi ont-ils émigré en Nouvelle-Zélande? La cause d’une série de combats, dans lesquels vaincus par leurs adversaires ils auraient été décimés, au point d’être contraints d’abandonner la terre de leurs ancêtres, paraît le plus plausible. Mais, comment y sont-ils arrivés?

Là est le problème. Avaient-ils idée de l’existence, au sud, d’une grande terre vers laquelle ils faisaient voile, ou y ont-ils touché par pur hasard, après avoir été le jouet des terribles tempêtes de l’océan Pacifique? Ce point ne sera, sans doute, jamais page 138élucidé. Ce qui est certain, c’est qu’une navigation de 1500 à 2000 milles, sans autres points de repère que les astres, dans de simples canots, sur une mer aussi orageuse, déroute l’imagination. Et cependant il est impossible d’expliquer autrement leur venue, pas plus, d’ailleurs, que les migrations successives qui ont amené les diverses peuplades du Pacifique dans les îles où les ont trouvées les premiers navigateurs.

L’origine commune des Maoris et des races habitant les archipels intertropicaux de l’Océanie se prouve, non seulement par l’apparence physique, mais aussi par la similitude de certaines traditions et la ressemblance des idiomes, lesquels, au dire des savants les plus versés dans les connaissances linguistiques océaniennes, sont tous des dialectes de la même langue. Ainsi, les indigènes de Nouvelle-Zélande et ceux de Rarotonga, qui se ressemblent aussi beaucoup par les traits du visage et la stature, ont un vocabulaire très peu différent, et, cependant, il y a 1600 milles sans aucune terre entre les deux pays, donc impossibilité de communiquer avant l’arrivée des blancs. Comment, alors, expliquer cette particularité, sinon par une communauté d’origine?

Dans le récit de ses découvertes, Cook rapporte que, lors de son premier voyage, l’interprète tahitien, qui l’accompagnait, fut de suite en mesure de converser avec les Maoris, et, sauf certaines différences de prononciation, dues surtout à des changements de lettres initiales, ils le comprenaient parfaitement. Il y a trois ans, M. P. S…, surveillant en chef des terres de la Couronne, en Nouvelle-Zélande, et l’un des hommes de la colonie les plus compétents en ce qui touche la langue et les coutumes des peuplades polynésiennes, a fait un voyage dans les principaux archipels. Tout l’a confirmé dans l’opinion d’une communauté de race entre les différentes îles du Pacifique. Ainsi, dès son arrivée à Tahiti, M. S…, qui possède le maori comme sa propre langue, était en mesure de causer avec nos indigènes et, au bout de deux à trois semaines, conversait parfaitement dans le dialecte de l’archipel.

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Portrait of Te Kooti.

Tekooti, célèbre chef Maori, en costume d’apparat: manteau de phormium, lance ou tai-aha, plumes de huia dans les cheveux, signe de noblesse et de commandement. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

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Il fit la remarque que, même en parlant le maori pur à des Tahitiens, ceux-ci, à l’exception de quelques mots, l’entendaient sans difficulté, et lui, réciproquement, saisissait fort bien leurs réponses. Il renouvela son expérience à Samoa, à Fidji, à Tonga et obtint, chaque fois, un résultat identique, retrouvant, chez tous ces peuples, les mêmes légendes et les mêmes traditions à peine altérées. A propos de sa visite à Papeete, il m’a conté un détail bien amusant. En sa qualité de fonctionnaire d’une colonie voisine, il sollicita l’honneur de présenter ses devoirs au gouverneur de notre possession. Introduit, il est accueilli fort gracieusement: sourires, inclinaisons, poignées de main, geste pour indiquer un siège, tout cela se fait, à la rigueur, par une simple pantomime, mais causer exige que les deux interlocuteurs connaissent la même langue, un peu tout au moins.

Or, si le chef de notre colonie ignorait l’anglais, le bon M. S… n’était pas capable de dire un mot de français. On envoie checher l’interprète britannique, par malheur il était absent; resourires, resalutations, repoignées de main et… silence sur toute la ligne. Cela devenait monotone. Le gouverneur, heureusement, eut une inspiration géniale. Au courant de l’érudition de son visiteur en matière de langages océaniens, il se dit que l’idiome de la reine Pomaré permettrait, peut-être, une conversation un peu plus suivie et il fit appeler le premier interprète du Gouvernement. Celui-ci adresse la parole en tahitien à notre Néo-Zélandais qui réplique en maori; l’interprète saisit à peu près et traduit en français au gouverneur, dont il transmet la réponse dans le dialecte local.

Ainsi s’établit un va-et-vient qui permet un entretien des plus intéressants. M. S… a gardé une impression ineffaçable de cet incident peu banal, qui lui a démontré, par la plus concluante des expériences personnelles, le bien fondé de sa théorie sur l’affinité des différents langages de la Polynésie. « Je conserve, me disait-il, le meilleur souvenir de la courtoisie et de l’amabilité du gouverneur, mais l’on m’aurait bien étonné si l’on page 142m’eût dit que ma connaissance des langues du Pacifique suppléerait, quelque jour, à mon ignorance de la vôtre, et que, pour me faire comprendre d’un haut fonctionnaire français, je serais obligé de lui parler maori par l’entremise d’un Tahitien. »

Les indigènes de la Nouvelle-Zélande sont généralement vigoureux et bien bâtis; les hommes paraissent plus beaux que les femmes. Toutefois, les deux sexes, qui, jadis, se maintenaient dans un état normal par l’entraînement des expéditions guerrières et la nécessité de se procurer leur nourriture, ont, maintenant que cette obligation n’existe plus, une fâcheuse tendance à grossir et même à devenir obèses. Paresseux avec délices, comme tous les Océaniens, leur idéal est de ne rien faire, et, quand ils n’ont pas besoin d’argent, leur vie est façonnée sur le modèle du héros de Rabelais: « manger, boire et dormir; dormir, boire et manger; boire, dormir et manger. »

Ils y ajoutent le tabac, inconnu au temps du curé de Meudon, et ces quatre occupations suffisent à remplir leur existence. Je ne veux pas dire qu’ils soient tous comme cela; il y en a de fort intelligents, instruits, occupant même de bonnes positions, mais il est rare que ceux-là n’aient pas de sang blanc dans les veines. Dans les premiers temps de la colonie, les femmes européennes étaient rares, et les pionniers de la civilisation ne se firent pas faute d’infuser à la race native une copieuse dose de sang anglo-saxon. Delà vient que l’on rencontre, aujourd’hui, presque autant de métis que de Maoris purs. Comme tous les indigènes, ceux de la Nouvelle-Zélande en se civilisant ont perdu leur cachet. Prenez un chef drapé dans son manteau de phormium avec les plumes d’oiseaux sur la tête, signe du commandement, et armé en guerre, il possède, au milieu de son peuple, une certaine noblesse naturelle. Habillez-le, au contraire, avec les rossignols des magasins de confection, il a l’air d’un vieux pauvre. Les femmes natives, vêtues maintenant de jupons aux couleurs criardes, affublées de vieilles couvertures, sont horribles. Voyez, au contraire, les Samoanes ou les Fidjiennes qui ont conservé le costume primitif, très primi-page 143
Black and white photograph of a wharepuni, with posing occupants.

Une « wharepuni », habitation Maori. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

tif même, vous avez de fort jolis types, parfois de véritables beautés. On rencontre bien, de temps à autre, à l’occasion d’une danse de guerre, des funérailles d’un chef influent ou autres solennités du même genre, des indigènes néo-zélandais revêtus de l’ancien costume; mais comme on voit qu’ils ne l’ont jamais porté d’une façon suivie! La démarche n’est pas naturelle, ils ont l’air gênés; si étrange que cela puisse paraître, malgré l’excessive simplicité du costume ancestral, ils ne savent positivement pas le porter. Ils donnent un peu l’impression de ces figurants de théâtre, racolés chez le marchand de vin du coin, et qui, affublés d’oripeaux de soie et de velours, représentent « la Cour du grand Roi ». Les personnes bien au fait des anciennes coutumes maories partagent ce sentiment et déplorent la disparition progressive de tout le pittoresque.
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Disons donc, avant qu’elles ne soient tout à fait reléguées dans le passé, un mot de ce qui subsiste, aujourd’hui, des anciennes mœurs.

Tout d’abord, il y a fort peu d’endroits, en Nouvelle-Zélande, où les indigènes vivent encore à la maorie. Si l’on veut en voir, il faut aller dans le comté de Waikato, vers la région des lacà chauds principalement ou sur les bords de la rivière de Wanganui, et, là même, ils sont plus qu’à moitié européanisés. Ils auraient disparu en grand nombre, cela n’est pas douteux, si le Gouvernement n’avait pris de sages mesures à leur égard. Pour empêcher certains spéculateurs sans scrupules de continuer à profiter, comme cela se faisait jadis, de la tendance des indigènes à vendre leurs terres contre de l’argent comptant qu’ils s’empressaient de dépenser, l’État a réglementé la possession et la jouissance par eux de certains territoires appelés Native reserves. Ces terres sont possédées presque toujours en commun par ce qui reste des anciennes tribus: elles sont régies par une séries d’actes du Parlement, appelés Native lands acts. ‘-Un tribunal spécial, Native Court, juge les contestations y relatives; enfin, elles ne peuvent être aliénées que dans certaines conditions et sous réserve de l’approbation du Gouvernemént. Ce système a empêché, — ce qui se serait infailliblement produit sans cela, — que la majorité de ces individus, après avoir dissipé ses biens, ne tombât à la charge de l’État. Le mouvement qui les portait, il y a trente ou quarante ans, à vendre leurs terres, une fois enrayé, beaucoup se sont repris à s’y attacher, et l’on compte encore quelques grands propriétaires maoris. La création de districts électoraux indigènes, le droit de vote conféré à tous les naturels âgés de vingt et un ans, étendu plus tard aux femmes (en 1893, en même temps qu’au beau sexe européen), les a relevés à leurs propres yeux. Ils sont fiers de jouir, à part la légère restriction apportée dans leur intérêt à la libre disposition de leurs biens, des mêmes droits civils, civiques et de famille que les blancs. La Nouvelle-Zélande est l’un des rares pays où de pareils privilèges aient page 145été concédés aux natifs, le seul, probablement, où ils peuvent devenir eux-mêmes législateurs.

Black and white photograph of a Maori woman with a kauae chin moko. Note that moko has possibly been drawn onto the photograph subsequently.

Une beauté Maorie. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

Au dernier recensement, on comptait 39854 individus de cette race. Depuis bien des années leur nombre reste stationnaire, les métis seuls augmentent légèrement. Dans les 40000 ne page 146sont pas compris les Maoris employés par des patrons européens D’une façon générale, ils paraissent respectueux des lois, puisque à la statistique de 1899 ne figuraient que seize condamnations prononcées contre des indigènes pour délits criminels.

Avant l’occupation européenne, les Maoris vivaient dans un état participant, à la fois, du système patriarcal et du phalanstère. Il n’y avait point de propriété privée en ce qui concerne les terres. Elles étaient possédées par la tribu, et la part de chacun dans la richesse commune proportionnée à sa situation sociale. Les droits héréditaires et de famille se trouvaient réglés par d’anciennes coutumes, scrupuleusement observées. Ces coutumes sont intéressantes à bien des points de vue, mais nous étendre sur ce sujet dépasserait de beaucoup les limites que nous nous sommes fixées: les curieux d’ethnographie peuvent consulter les ouvrages spéciaux qui font autorité en la matière.

Beaucoup d’anciens usages maoris ont disparu: les deux demeurés le plus en honneur et dont les amateurs de pittoresque peuvent se délecter de temps à autre, sont le Tangi ou fête des funérailles et le Haka ou danse de guerre. La persistance du premier tient, comme de juste, à ce sentiment si enraciné chez les peuples primitifs et dont on ne saurait trop les louer, d’ailleurs, le respect des morts. Quand un grand personnage indigène quitte cette vallée de larmes pour aller retrouver ses ancêtres dans un monde meilleur, des coureurs en répandent aussitôt la nouvelle avec une rapidité surprenante dans toutes les tribus voisines, et, au jour fixé pour lui rendre les derniers devoirs, de longues files d’hommes, de femmes et d’enfants, qui à pied, qui à cheval ou en charrette à bœufs, certains même, donnant la note moderne, trop moderne dans ce déploiement d’archaïsme, par chemin de fer, s’acheminent revêtus de leurs plus beaux habits vers le pah1 du défunt. Ils le trouvent étendu page 147
Black and white photograph of a Maori woman posing with a feather cloak and a hei tiki.

Une métisse de blanc et de Maorie ayant au cou le « heitiki », amulette en pierre verte. Certains de ces talismans anciens valent jusqu’a cent livres sterling. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

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Five Maori girls posing with poi.

Le poï, jeu Maori moderne, inconnu des indigénes avant la venue des Européens. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

sur un lit de parade, recouvert de son manteau de phormium des grands jours, avec ses armes de guerre auprès de lui, et bientôt commence l’interminable série des lamentations. Les parents, en premier lieu, puis les amis entament la litanie des louanges du mort à laquelle l’assistance s’associe. Elle est même incroyable la prodigieuse quantité de vertus que l’on découvre chez un homme quand il n’est plus. Il aurait pu se montrer durant sa vie une franche eanaille qu’à coup sûr, au Tangi, il deviendrait bon, honnête, désintéressé, intrépide comme Bayard et charitable comme saint Vincent de Paul. Si, du haut du ciel, sa demeure dernière, le brave homme entend tout cela, il doit se dire, agréablement chatouillé dans son amour-propre: « Vraiment je ne me savais pas si bon! »
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Black and white photograph of a Maori settlement near Rotorua.

Village Maori de Wakarewarewa. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

A l’issue du panégyrique, le de cujus, entouré de tous les siens en pleurs, est conduit au champ de repos. Aussitôt la dernière pelletée de terre jetée sur la tombe, l’endroit est frappé du tabou le plus rigoureux. Comme on le sait, le « tabou », coutume commune à tous les peuples océaniens, consiste à rendre sacrés et inviolables certains lieux consacrés par des événements importants. Les sépultures sont toujours « tabouées », et l’interdiction d’y toucher est d’autant plus rigoureuse que le défunt occupait une position plus élevée. Ce respect des tombes est demeuré si grand chez les Maoris chrétiens et civilisés de l’heure actuelle, qu’il s’étend jusqu’aux fossoyeurs. J’ai vu à Wakarewareva, dans la contrée si curieuse des lacs chauds, un bon vieux, tout courbé par l’âge, ratatiné et architatoué, qui, depuis quarante ans, exerce ces funèbres fonctions dans le village. Les indigènes de la tribu lui parlent à une dis-page 151
Black and white portrait of Maori woman in feather cloak, with infant.

Une Maorie et son bébé (les enfants sont toujours portés sur le dos, enveloppés dans une natte ou un chale). — Photographie de J. Martin, a Auckland.

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Black and white photograph of four Maori women posing in front of flax matting.

Fabrication des nattes par les femmes Maories (tribu du comté de Waikato.) Photographie de J. Martin, a Auckland.

tance de dix pas au moins et ne se risqueraient pas à le toucher pour tout l’or du monde: ils craindraient d’attirer sur cux et sur leurs proches les plus effroyables malheurs. Le bonhomme vit seul, et comme, outre sa personne qui est « tabou », tout ce qu’il touche le devient immédiatement, il est obligé de préparer luimême les aliments qu’on lui jette de loin. Si jamais le feu prend à sa cahute ou s’il tombe à l’eau, il n’a qu’à s’en tirer par ses propres moyens, car pas une main ne se tendrait pour l’arracher aux flammes ou aux flots.

Le « tabou », tombé aujourd’hui en désuétude sauf pour les sépultures, s’étendait jadis à une foule de lieux et même d’objets. Ainsi tout ce qui appartenait à un grand chef: ses effets, ses armes et tout ce qui avait eu contact avec lui était « tabou ». Fort gênante parfois, l’interdiction était pourtant scrupuleuse-page 154ment respectée. Témoin l’histoire bien connue d’un esclave laissé par son maître à la garde des provisions et des habits de celui-ci, durant deux ou trois jours. Bien qu’on eût oublié de munir le serviteur de quoi manger lui-même, il n’osa pas, torturé par la faim, porter une main profanatrice sur les aliments sacrés du grand chef. Par crainte d’être foudroyé comme sacrilège, il était tout bonnement en train de mourir d’inanition lorsque le retour inopiné de l’auguste personnage vint mettre fin à ses angoisses.

Le « haka » ou danse de guerre, tel qu’il se pratique de nos jours, n’offre plus qu’une pâle réminiscence de ce qu’il fut à l’époque où il avait pour but de produire chez les guerriers, par une excitation progressive et continue, le paroxysme de fureur avec lequel chacune des deux tribus aux prises s’efforçait de se précipiter sur l’autre, dans l’espoir de la culbuter au premier choc. Les Maoris n’attaquaient pas de sang-froid, mais seulement lorsque l’enivrement passionnel du « haka » avait fait d’eux de véritables bêtes fauves. Jadis, dans les bois, et lorsque la danse de guerre était le prélude de scènes sanglantes, elle devait offrir aux rares Européens, qui en virent alors le spectacle, un certain caractère de grandeur sauvage; aujourd’hui elle fait malheureusement ressembler un peu les acteurs à des clowns. Ce qui frappe le plus dans cette chorégraphie spéciale, ce sont les contorsions extraordinaires, les grimaces hideuses, les coups de poing à assommer un bœuf que les exécutants s’administrent sur le thorax et sur les cuisses et, surtout, les énormes langues qu’ils tirent en roulant des yeux féroces. L’indigène néo-zélandais paraît avoir, pour cette exhibition de la glotte, des dispositions toutes particulières et s’en montre très fier. A deux ans, le petit Maori tire déjà la langue comme père et mère. En somme, le « haka » est curieux à voir une fois, mais c’est tout.

La préparation des repas constitue un spectacle assez intéressant, surtout à Rotorna, où les natifs utilisent les sources chaudes et font cuire leurs mets au fond des trous pratiqués page 155
Black and white photograph of two Maori women demonstrating hongi, or nose-press greeting.

Le « hongi » ou salut a la mode Maorie. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

dans le sol brûlant. Ce four de campagne, c’est le cas de le dire, fait d’excellente cuisine.
En terminant, n’oublions pas une coutume que la civilisation n’a nullement fait disparaître: je veux parler du salut à la page 156
Black and white photograph, taken near Rotorua, of food preparation using thermal hot pools to cook food.

Cuisine aux sources chaudes de Wakarewarewa. — Photographie de J. Martin, a Auckland.

mode indigène. Quand deux Maoris se rencontrent, ils s’empressent de se frotter le nez l’un contre l’autre, et le degré d’intensité du frottement paraît être en raison directe de l’amitié des parties. Je me trouvais, un jour, dans un train dans lequel voyageait un chef illustre. Une députation de notables indigènes était venue le saluer à la gare et le régaler de l’audition d’une fanfare native. Sur le quai, on remarquait une jeune naturelle, pas trop laide, mais vêtue d’une robe vert chou et drapée dans un châle jaune serin. Elles raffolent de ces couleurs criardes. Ce devait être quelque princesse, à en juger par la façon respectueuse dont tous les partants prenaient congé d’elle, sur un frottement de nez convaincu. Pendant vingt minutes, montre en main, ce fut une procession ininterrompue de frotteurs, et je ne pus qu’admirer la résistance de son appendice nasal, lequel, au départ du train, sauf un peu de rougeur, paraissait encore en fort bon état. Impossible de mieux page 157
Black and white photograph of young Maori children performing haka, c.1904.

Un « haka » en miniature, exécuté par des enfants Maoris. Photographie de J. Martin, a Auckland.

démontrer, que par ce petit épisode, l’incompatibilité entre les usages des peuples primitifs et la civilisation dont nous leur apportons le bienfait ou prétendu bienfait. Si tous ces gens avaient été vêtus de manteaux de phormium, armés en guerre, les plumes du « kiwi » dans les cheveux, et que la scène se fût passée dans un « pah » maori, elle n’aurait pas été banale; mais voir, dans une station de chemin de fer, des individus affublés de vieux complets européens qui se livrent à cette friction nasale, au milieu des voyageurs affairés, à deux pas de la casquette galonnée d’un chef de gare, c’est tout de même un peu grotesque.
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Le tatouage, dans la génération actuelle, chez les hommes au moins, a presque disparu; les Maoris que l’on rencontre la figure zébrée de cercles, anneaux, lignes concentriques et autres ornements compliqués, ont tous dépassé le demi-siècle. Beaucoup de femmes, en revanche, conservent l’habitude de se tatouer les lèvres. Certaines jeunes filles, même, s’enjolivent ou plutôt croient s’enjoliver le visage par cette pratique autorisée, jadis, chez les seules personnes du beau sexe en puissance de mari. La virginité des lèvres était encore, il y a quelques lustres, un indice extérieur de celle du corps, ou, du moins, devait l’être; car, tout en observant un peu mieux que leurs sœurs des autres îles de la Polynésie, les Tahitiennes par exemple, les règles de la pudeur, les jeunes Maories, si l’on en croit la chronique, n’étaient pas précisément des modèles de vertu.

1 On appelle pah l’enclos palissadé qui entoure la demeure d’un chef.